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REVUE. — CHRONIQUE.

sous-marin, comme celui qui a dernièrement donné naissance à l’île Julia, entre la Sicile et la côte d’Afrique, mais tout-à-fait dans le voisinage de l’île ; car, sans cela, la chose me paraîtrait encore fort difficile à admettre.

Sans vouloir donc mettre ici en doute la véracité du récit du déluge de la Samothrace, que je suis loin de regarder, vous voyez, comme impossible, considéré comme simple événement local, je me permettrai d’ajouter que je crois qu’il ne faut pas toujours attacher une trop grande importance aux récits des anciens, qui les ont souvent puisés eux-mêmes dans des auteurs plus anciens, et qu’il faut aussi faire la part des temps ; car, à des époques qui se rapprochaient plus ou moins des temps fabuleux, il n’est pas étonnant que, chez des peuples aussi avides du merveilleux que les Orientaux, chaque peuplade en particulier n’ait cherché à rattacher au pays qu’elle habitait des faits qui n’appartenaient qu’à d’autres localités, comme vous l’avez savamment démontré pour les déluges de Deucalion et d’Ogigès. Il n’est pas étonnant non plus que, dans un temps où les sciences physiques étaient dans l’enfance, des auteurs même judicieux, tels qu’Hérodote, Strabon, Diodore de Sicile et tant d’autres, aient quelquefois admis comme des vérités, ce qui n’était que le résultat de l’imagination plus ou moins vive des poètes.

La seule inspection des lieux, comme vous nous l’avez fort bien dit aussi, a dû faire naître souvent des suppositions que plus tard on a admises comme des vérités ; c’est ainsi que la vue des rives de l’Hellespont a pu faire admettre à Straton, qui était de Lampsaque, et qui avait par conséquent observé les lieux à loisir, que l’ouverture de ce détroit était due à l’irruption de la mer du Pont, puisque, près de deux mille ans plus tard, Tournefort crut reconnaître aussi, à l’inspection de ses côtes, la vérité de cette hypothèse, qu’il chercha à expliquer par des dénudations successives.

Je vais vous citer un fait que j’ai recueilli et vérifié moi-même, et qui me paraît devoir venir parfaitement confirmer cette idée. Il existe chez les habitans des îles d’Anticyros, situées à l’entrée des golfes Thermaïque et Pélasgique, et connues de nos jours sous le nom d’Archipel du Diable[1], des traditions qui sont tout-à-fait extraordinaires, quoiqu’elles ne soient cependant pas dénuées de tout fondement. Ainsi d’après ces traditions, les deux îles de Piperi et de Iaoura ou île du diable, éloignées de plus de trois lieues l’une de l’autre, ne seraient que les extrémités d’une grande île, qui aurait été engloutie, et qui contenait une ville de douze mille maisons, ce qui supposerait une population de soixante mille habitans ; mais comme en Grèce l’on a reconnu qu’il fallait multiplier le nombre des familles par sept au lieu de cinq, pour avoir la population moyenne, cela porterait celle de la ville engloutie à quatre-vingt-quatre mille habitans au moins. L’on sent bien tout ce qu’un pareil conte a d’improbable, car une ville de cette importance n’aurait pas disparu sans que l’his-

  1. Ces îles, qui comprennent Skiatos, Scopelos, Iliodromia, Piperi, Iaoura, etc., forment avec Skyros, sous le nom de Sporades septentrionales, un département de la Grèce actuelle.