Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.
110
REVUE DES DEUX MONDES.

mais du sommeil qui pèse cette nuit sur les yeux de Gilbert, de Chatterton et d’André Chénier.

Ici Stello poussa un profond soupir et cacha sa tête dans ses mains.

— Cependant, poursuivit le Docteur noir, supposons que nous tenions ici entre nous deux le divin Platon, ne pourrions-nous, s’il vous plaît, le conduire au musée Charles x (pardon de la liberté grande, je ne lui sais pas d’autre nom), sous le plafond sublime qui représente le règne, que dis-je ? le Ciel d’Homère ? Nous lui montrerions ce vieux pauvre, assis sur un trône d’or avec son bâton de mendiant et d’aveugle entre les jambes, ses pieds fatigués, poudreux et meurtris, mais à ses pieds ses deux filles (deux déesses), l’Iliade et l’Odyssée. Une foule d’hommes couronnés le contemple et l’adore, mais debout, selon qu’il sied aux génies. Ces hommes sont les plus grands dont les noms aient été conservés, les Poètes, et si j’avais dit les plus malheureux, ce seraient eux aussi. Ils forment de son temps au nôtre une chaîne presque sans interruption de glorieux exilés, de courageux persécutés, de penseurs affolés par la misère, de guerriers inspirés au camp, de marins sauvant leur lyre de l’océan et non des cachots, hommes remplis d’amour et rangés autour du premier et du plus misérable, comme pour lui demander compte de tant de haine qui les rend immobiles d’étonnement.

Agrandissons ce plafond sublime dans notre pensée, haussons et élargissons cette coupole, jusqu’à ce qu’elle contienne tous les infortunés que la poésie ou l’imagination frappa d’une réprobation universelle. Ah ! le firmament, en un beau jour d’août, n’y suffirait pas ; non le firmament d’azur et d’or, tel qu’on le voit au Caire, pur de toute légère et imperceptible vapeur, ne serait pas une toile assez large pour servir de fond à leurs portraits.

Levez les yeux à ce plafond et figurez-vous y voir monter ces fantômes mélancoliques : Torquato Tasso, les yeux brûlés de pleurs, couvert de haillons, dédaigné même de Montaigne (ah ! philosophe qu’as-tu fait là !), et réduit à n’y plus voir, non par cécité, mais........ Ah ! je ne le dirai pas en français, que la langue des Italiens soit tachée de ce cri de misère qu’il a jeté :