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CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

sibles, la première nous craint, la seconde nous dédaigne comme inutiles, la troisième nous hait et nous nivelle comme supériorités aristocratiques. Sommes-nous donc les îlotes éternels des sociétés ?

Îlotes ou dieux, dit le Docteur ; vous souvient-il en outre d’un certain Platon, qui nommait les poètes imitateurs de fantômes et les chassait de sa République ? Mais aussi il les nommait divins. Platon aurait eu raison de les adorer, en les éloignant des affaires ; mais l’embarras où il est pour conclure (ce qu’il ne fait pas), et pour unir son adoration à son bannissement, montre à quelles pauvretés ou à quelles injustices est conduit un esprit rigoureux et logicien sévère, lorsqu’il veut tout soumettre à une règle universelle. Platon veut l’utilité de tous dans chacun ; mais voilà que tout-à-coup il trouve en son chemin des inutiles sublimes comme Homère, et il n’en sait que faire. Tous les hommes de l’art le gênent : il leur applique son équerre, et il ne peut les mesurer : cela le désole. Il les range tous, poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, dans la catégorie des imitateurs ; déclare que tout art n’est qu’un badinage d’enfans, que les arts s’adressent à la plus faible partie de l’âme, celle qui est susceptible d’illusions, la partie peureuse, qui s’attendrit sur les misères humaines ; que les arts sont déraisonnables, lâches, timides, contraires à la raison ; que, pour plaire à la multitude confuse, les poètes s’attachent à peindre des caractères passionnés, plus aisés à saisir par leur variété ; qu’ils corrompraient l’esprit des plus sages, si on ne les condamnait ; qu’ils feraient régner le plaisir et la douleur dans l’état, à la place des lois et de la raison. Il dit encore qu’Homère, s’il eût été en état d’instruire et de perfectionner les hommes, et non un inutile chanteur, comme il était (incapable même, ajoute-t-il, d’empêcher Créophile, son ami, d’être gourmand, ô niaiserie antique !), on ne l’eût pas laissé mendier pieds nus ; mais on l’eût estimé, honoré et servi autant que Protagoras d’Abdère et Prodicus de Cie, sages philosophes, portés en triomphe partout.

— Dieu tout puissant ! s’écria Stello, qu’est-ce, je vous prie à présent, pour nous autres, que les honorables Protagoras et