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ment. La mer était calme, et leur hideuse barque arriva à bon port. La guillotine leva son bras.

En ce moment plus aucune voix, plus aucun mouvement sur toute l’étendue de la place. Le bruit clair et monotone d’une large pluie était le seul qui se fît entendre, comme celui d’un immense arrosoir. Les larges rayons d’eau s’étendaient devant mes yeux et sillonnaient l’espace. Mes jambes tremblaient : il me fut nécessaire d’être à genoux.

Là je regardais et j’écoutais sans respirer. La pluie était encore assez transparente, pour que ma lunette me fît apercevoir la couleur du vêtement qui s’élevait entre les poteaux. Je voyais aussi un jour blanc, entre le grand bras et le billot, et, quand une ombre comblait cet intervalle, je fermais les yeux. Un grand cri des spectateurs m’avertissait de les rouvrir.

Trente-deux fois je baissai la tête ainsi, disant tout haut une prière de désespéré, que nulle oreille humaine n’entendra jamais, et que moi seul j’ai pu concevoir.

Après le trente-troisième cri, je vis l’habit gris tout debout. Cette fois je résolus d’honorer le courage de son génie, en ayant le courage de voir toute sa mort.

La tête roula, et ce qu’il avait là s’enfuit avec le sang.


CHAPITRE XXXV
Un tour de roue.

Ici le Docteur noir fut quelque temps sans pouvoir continuer. Tout-à-coup il se leva et dit ce qui suit, en marchant vivement dans la chambre de Stello :

— Une rage incroyable me saisit alors ! je sortis violemment de ma chambre en criant sur l’escalier : les bourreaux ! les scélérats ! livrez-moi si vous voulez ! vous me cherchez ! me voilà !

— Et j’allongeais ma tête ! comme la présentant au couteau. J’étais dans le délire.