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LA HORCA.

plaidait ce jour-là, je résolus d’y assister ; en ma double qualité de curieux et d’étranger, je ne pouvais vraiment d’ailleurs m’en dispenser. Je me hâtai donc de monter aussi à la cour, et suivant la foule, j’entrai avec elle dans la salle d’audience.

La séance venait d’être ouverte par le gobernador[1]. Cinq alcades siégeaient en robes noires.

J’aperçus de loin l’accusé. Il portait l’habit de calesero[2]. C’était un jeune homme de vingt à vingt-deux ans ; il avait de grands yeux bleus, et de longs cheveux blonds bouclés. Je fus frappé de l’expression douce et triste de sa belle figure, et je m’intéressai d’abord vivement à lui.

Le relator[3] se leva, et exposa l’affaire en peu de mots. José Guzman (l’accusé se nommait ainsi) avait été surpris en flagrant délit et arrêté, le mois précédent, encore muni d’une somme de vingt réaux[4], qu’il venait de voler dans une chambre fermée dont il avait forcé la porte. Le fait résultait de l’instruction, constant et irrécusable.

L’avocat de l’accusé parla à son tour, environ un quart d’heure, sans trop d’emphase ni de prétention, avec plus de convenance et de simplicité qu’il n’appartient d’ordinaire à un avocat. Il raconta que José Guzman avait honnêtement vécu, plusieurs années, de son état de calesero, les minces bénéfices qu’il en retirait lui ayant suffi pour se soutenir tant qu’il avait pu seulement continuer ce pauvre métier. — Mais, il y avait deux mois environ, son cheval, son seul cheval, son gagne-pain, était mort de fatigue, à la suite d’un voyage trop rapide à l’Escurial. Ce malheur irréparable pour Guzman avait entraîné sa ruine ; n’ayant pu réussir à se faire vendre à crédit un autre cheval, et se trouvant ainsi dépourvu de tout moyen de gagner sa vie, ses faibles ressources peu-à-peu épuisées, la misère était venue, et un soir enfin, le besoin et le désespoir le poussant, il avait cédé à une

  1. Le président.
  2. Conducteur de petites voitures à un cheval.
  3. Avocat-rapporteur.
  4. Environ cinq francs de notre monnaie.