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DE LA LITTÉRATURE MARITIME.

Vous avez encore la marine militaire, et son despotisme oriental ; despotisme qui se corrige par l’insurrection ; car les marins de Louis-Philippe ne sont pas plus libres que les marins de Louis xiv ; la garcette de Jean Bart est encore nouée. Vous avez cette cour martiale qui fusille sans appel ; qui a son code noir, et ses bourreaux aux ancres d’or ; mais cette marine est brave et la première du monde. Ses boulets sont de poids : acceptez !

Vous avez toute une histoire de malheurs. Je pense aux pontons que l’Angleterre nous donnait en échange des fraîches campagnes de Lorraine, du riant exil que nous partagions avec ses prisonniers. La captivité des pontons est bien au-dessus des calamités idéales des Mille et une Nuits. Les malheurs de nos Français sont la plus sombre poésie ; des ongles se sont creusé des chemins d’une demi-lieue sous les pieds des sentinelles, jusqu’à la mer ; des bateaux, sur lesquels on ne traverserait pas la Seine, ont traversé la Manche, durant des nuits d’hiver ; des Français ont gardé dans leur hamac des camarades morts depuis trois jours, afin d’accaparer leur ration. La faim qui déprave ne s’arrêtait pas à une première digestion. Notez qu’on jouait la comédie dans les pontons.

Vous avez la traversée et ses jeux et son ennui et ses fêtes ; le départ ; les mouchoirs blancs qui volent ; le baptême du tropique, celui de la ligne, symbole catholique et païen ; qui a commencé par être un mystère, qui a été plus tard un culte, qui n’est plus aujourd’hui qu’une affaire d’argent pour l’équipage. Le père tropique baptise pour 10 francs.

Vous avez le capitaine, résumé de tous les pouvoirs, qui a la souveraineté sur le roi de France à bord de son navire ; souveraineté incontestable, puisqu’elle est le double produit de l’élection et de la science.

Vous avez le retour et la quarantaine ; le lazaret, entrepôt de la peste et de la fièvre jaune, où le voyageur ne peut toucher le doigt à la voyageuse sans courir le risque d’ajouter trois mois à sa captivité ; il y a peu d’exemples de ces sacrifices. La liberté est une si belle femme !