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DE LA LITTÉRATURE MARITIME.

trée dans le grand vestibule de l’Océan, les ténèbres se dissipent, l’obscurité a peur. Noire ici, pâle plus loin, rouge, rosée, violette, flambante, la mythologie des nuages agite toutes ses formes ; et alors c’est un vaisseau de pourpre à toutes voiles qui cingle vers le pôle par un vent frais ; c’est une ville bâtie au zénith, un clocher dont la pointe s’en va en arrière, comme un chapeau de magicien ; ce sont des géants, des hippogriffes, toute une magie dansante et rêveuse.

Peut-être, étant arrivé à ce point de rencontre de la navigation avec la peinture, dois-je essayer de combattre un préjugé calomniateur pour le caractère des masses non privilégiées qui, par la forme de nos institutions toutes monarchiques, ont été long-temps en dehors des décisions du goût. On a eu le tort de croire que l’art et sa fortune suivaient rigoureusement le sort de la grande propriété ; que l’art, affaire de distraction et de caprice, définition absurde, ne servait qu’au délassement d’une classe, ne pouvait subsister que sous son haut patronage. On a parlé de Louis xiv, de sa munificence à doter la peinture, la statuaire et la poésie ; on a cité Versailles, la galerie du Louvre, quelques hommes de lettres, presque aussi haut rentés que des courtisanes et des valets de chambre. De là, parce que le peuple a prévalu, on a conclu contre le peuple qui n’a ni galerie ni pensions à donner. De là on a prophétisé la décadence de l’art.

Sans doute, aux époques où l’aristocratie était riche et puissante, où seule elle avait des palais, des habitations commodes, du superflu à jeter aux artistes, je conçois que sans elle l’art n’aurait pu vivre. Il lui fallait un Médicis, un Philippe ii, un Louis xiv, un Léon x. C’était juste. On se battait, on priait, on mourait pour la monarchie ; il fallait peindre pour la monarchie. Peindre, sculpter, chanter, c’était payer l’impôt à sa manière. Au lieu d’argent, de courage et de sang, on donnait du marbre, de la couleur ou de l’harmonie. La corvée s’acquittait en génie. Est-ce là le temps qu’on regrette ?

D’ailleurs, pour quelques pièces de monnaie jetées à la basse importunité de l’art, devenu domestique ou ambassadeur avec Rubens, de combien de lumières l’art n’était-il pas privé ? D’où