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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

satisfaire, vous échappera froide et indifférente. Pour moi, j’ai toujours envie de répondre à cette philosophie qui cherche son esprit dans les cendres des morts

Laisse le passé être le passé.
Lass das Vergang’ne vergangen seyn.[1]

N’as-tu rien à me dire sur ce qui m’importe dans mon siècle, à l’heure où nous sommes du temps, rien à m’indiquer sur le chemin à prendre ? Rien ? Alors laisse-moi, tu appartiens déjà à ce passé dont tu te montres si amoureuse ; va te perdre dans sa nuit et grossir le nombre des habitans du vide.

C’est une étrange conception que d’avoir voulu susciter, au milieu de notre société française, un mouvement renouvelé des Grecs d’Alexandrie. Les abstractions pures tournent dans un cercle fatal qu’elles semblent ne pouvoir dépasser, tellement qu’Aristote et Platon n’ont pas encore été vaincus dans le champ même de la métaphysique ; et les théories de votre Schelling et de votre Hegel ne sont que d’ingénieuses variations de la philosophie grecque. Mais voulez-vous quelque chose de novateur ? Regardez cet homme simple, de bon sens, parlant à tous, pas métaphysicien ; il brise le paganisme. La loi de Moïse sera dissoute dans sa lettre et complétée dans son esprit par un Nazaréen peu curieux des spéculations métaphysiques. Si, au seizième siècle, l’Europe se renouvelle, vous pouvez vous en prendre à Luther qui ameute le monde contre le pape et contre Aristote ; la révolution française pose à deux fois en 1789 et en 1830 le problème de la sociabilité. Ainsi, notre nation a dépassé les théories du Grec, les abstractions du Germain par la simple allure de son développement. Or, son génie a été entièrement méconnu de M. Cousin ; il n’a pas soupçonné son aptitude sociale, son instinct progressif, et je vous ai montré, monsieur, dans ma première lettre, le traducteur de Platon venant aboutir, après mille circuits, à trouver dans la charte de 1814 tous les élémens

  1. Faust, dernière scène.