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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

et Fichte, désireux qu’ils étaient de les détruire et de les supplanter. Kant avait déclaré qu’il était impossible à l’homme d’arriver à la connaissance de l’absolu ; Fichte l’avait identifié dans la plus haute expression de l’homme même ; Schelling, rompant avec Kant et Fichte, fit de l’absolu une intuition mystique ; Hegel, de son côté, en fit une hypothèse logique. Or, voici M. Cousin qui tombe dans l’étrange illusion de vouloir accoupler des termes incompatibles ; il croira pouvoir se servir de Kant comme d’un point de départ, de Fichte comme de la précision même du moi. À Schelling, il empruntera la spontanéité, à Hegel, la réflexion, et il sera persuadé avoir donné une solution satisfaisante et nouvelle dans la distinction de la raison spontanée et de la raison réfléchie. Vous m’avez dit souvent, monsieur, combien cette métaphysique vous avait paru, à Berlin, téméraire et frivole ; ici, à Paris, elle a eu peu d’inconvéniens, car personne ne l’a comprise ; on a laissé M. Cousin, sans le troubler, jouer avec les formules, avec le fini et l’infini, le un et le multiple ; il a professé sans objections la réduction fort importante, selon lui, des catégories de Kant et d’Aristote, aux lois de causalité et de substance ; réduction stérile, affaire de mots : l’éloquence du professeur lui obtenait du public grâce pour son ontologie.

La sensibilité n’a été qu’effleurée par M. Cousin ; étranger à la physiologie, il manquait de faits positifs, et s’est borné à rédiger quelques conjectures de M. Maine de Biran.

On m’a demandé quelquefois si M. Cousin était panthéiste, j’ai répondu que je l’ignorais, et je crois qu’il n’en sait rien lui-même. Quel est en effet le sens exact de cette phrase : « Le dieu de la conscience n’est pas un dieu abstrait, un roi solitaire relégué, par-delà la création, sur le trône désert d’une éternité silencieuse, et d’une existence absolue qui ressemble au néant même de l’existence ; c’est un dieu à-la-fois vrai et réel, à-la-fois substance et cause, toujours substance, et toujours cause, n’étant substance qu’en tant que cause, et cause qu’en tant que substance ; c’est-à-dire étant cause absolue, un et plusieurs, éternité et temps, espace et nombre, essence et vie,