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Ici, la Suède abat ses forêts, ouvre ses mines ; la Russie presse ses ballots d’hermine et de martre ; la Hollande embarque ses harengs, son huile de baleine, ses baleines ; encore quelques mois et les vaisseaux de Toulon couvriront les mâts de la Suède d’une voile française : le Napolitain, le Gênois, le Livournais, le Sarde ouvriront au soleil le poisson séché par le Batave ; sur les épaules du sultan et du stathouder flottera l’hermine d’Archangel ; mais à leur tour, l’Italie versera l’huile de ses féconds oliviers dans les tonneaux du nord ; la France déploiera ses soieries étincelantes au regard brumeux du Norwégien ; ses soieries, merveilles dues à un ver apporté des Indes au sixième siècle, à Constantinople sous Justinien. L’empire d’Orient est disparu, le ver existe encore, le commerce l’a abrité sous une feuille grossière : cette feuille est une richesse. Un mûrier peut nourrir trois familles ! Constantinople donnera le cuivre de Trébizonde, le blé de Taganrok, les perles du golfe Arabique. Et voyez ! comme tout travaille, comme chaque province répond à chaque province, chaque homme à chaque homme, chaque coup de marteau à un va-et-vient de la navette ; il ne se fait pas une aune de dentelle à Malines, que Florence n’ourdisse au même instant une aune de satin, Colchester une aune de serge et de frise, Alep une aune de mousseline. Un lingot de fer sort des mines d’Upland, et au même instant, Saint-Étienne jette un fusil hors de la fournaise, Birmingham une ancre marine, Bristol une pluie de fil d’archal ; mais il faut des chevaux pour rouler ses fers, pour traîner ses cuivres jusqu’au rivage ; Holstein, qui n’a pas comme d’autres villes d’Allemagne de savantes horlogeries, Holstein fournit des chevaux vigoureux. Holstein a ses chevaux, Spitehad sa rade, Bristol deux mille vaisseaux toujours à la voile. Quel carnaval européen que ces infinis échanges ! Avec les gants délicats, cousus par les pauvres filles de Worcester et de Grenoble, le boyard russe brillera dans les salons d’un duc, d’un duc dont le chapeau a été foulé et galonné par des ouvriers de la rue Saint-Jacques, dont les souliers ont été moulés par Sakoski, dont le diamant a été cueilli au Brésil. Ce diamant a coûté dix nègres, avant que Pradher ne l’ait élevé