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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

trier les matériaux d’un nouvel édifice ; elle s’y emploiera de toute façon ; elle ira remuer les premières couches de l’histoire et de l’espèce humaine ; elle regardera attentivement le temps couler, l’espace se peupler, se dégarnir et se repeupler de races et de nations avec la diversité de leur génie et de leur humeur ; elle cherchera les lois de la gravitation morale qui attire l’humanité ; puis inhérente au présent, ardente à l’élargir, si elle voit le sol encore encombré de systèmes transitoires, et de théories éphémères, elle n’hésitera pas à les combattre ; mais érudition, philosophie, polémique, c’est toujours la même cause qu’elle sert et qu’elle embrasse : or elle est sacrée cette cause, on peut la nommer à tous, amis ou ennemis ; c’est le développement de l’intelligence et de la liberté.

Voilà à-peu-près, monsieur, quelle fut ma réponse ; voilà pourquoi je continue non-seulement à vous écrire, mais à publier mes lettres. J’avais d’abord songé à vous parler dès à présent, et même je vous l’avais annoncé, des premiers essais tentés depuis notre dernière révolution ; mais, en y réfléchissant, j’ai cru n’avoir pas encore assez approfondi la démonstration que j’avais entamée sur l’impuissance et l’invalidité de la philosophie qui a fleuri sous la restauration : c’est donc de l’éclectisme proprement dit que j’ai dessein de vous entretenir aujourd’hui.


Rien ne donne mieux l’explication d’un système et d’un mouvement philosophique que de préciser exactement son origine et son point de départ. Je comprends Descartes quand je le vois, après avoir passé des plaisirs à la réclusion de l’étude, de la Hollande à l’Allemagne, de la Bohème et de la Hongrie aux extrémités de la Pologne, de la Suisse à l’Italie, à Venise, à Rome, d’une vie guerrière à une solitude obstinée, arracher de son esprit, avec douleur, le doute, le doute affreux qui le déchirait, pour y ériger un dogmatisme créateur. Kant me devient sensible par sa résolution de tout tirer de lui-même, et ce philosophe, aussi sédentaire que son devancier avait été nomade, est clair et perceptible quand on reconnaît en lui le redresseur de l’esprit