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vous, les ennemis que vous vous susciterez ? à vos raisons on répondra par des menées sourdes ; à vos objections par des intrigues ; à vos réfutations quand elles seront pressantes, par des calomnies ; si l’école philosophique que vous attaquez perd le sceptre de l’opinion, en revanche elle a les places et le crédit ; craignez ses ressentimens ; ne compromettez pas votre situation ; suspendez votre polémique ; écrivez toujours à votre Berlinois, si tel est votre plaisir, mais ne publiez plus vos lettres.

J’avais écouté le digne homme avec intérêt et reconnaissance. Mon ami, lui dis-je, après quelque silence, je vous remercie, mais votre amitié vous exagère les périls où vous me croyez engagé : d’abord je répugne à penser qu’on réponde à des joûtes littéraires par de basses pratiques ; j’estime trop ceux dont je puis critiquer les opinions pour les soupçonner d’indignes vengeances : d’ailleurs il n’est plus au pouvoir d’aucune coterie, si ombrageuse, si colérique et si compacte que vous puissiez vous la représenter, d’accabler personne, pas même l’homme le plus obscur et le moins important : le public, c’est-à-dire la véritable majorité, prête son appui à la sincérité et au courage. Quant à votre conseil de me livrer sans partage aux laborieux plaisirs de la contemplation de l’histoire et du passé, croyez-vous, mon ami, que la science soit un meuble de bibliothèque et une curiosité stérile ? Vous l’imaginez-vous comme une collection de choses rares, mirifiques, mais inutiles ? son culte doit-il vous dépouiller du souci du présent, de la conscience de votre propre siècle, et vous engourdir l’âme d’une indifférence mortelle pour tout ce qui n’a pas encore trouvé sa place dans le musée de l’histoire ? Pour moi, j’aime sans doute à rester suspendu longues heures au spectacle du passé, mais je ne me bouche pas les oreilles pour ne pas entendre le bruissement de mon temps ; je me plais à retrouver les émotions et les pensées qui ont pu monter au cœur de ceux qui furent avant nous ; mais je ne refuse pas de m’associer aux affections et aux destinées de mes contemporains : si la science me paraît mériter un dévoûment sérieux et persévérant, c’est que je l’estime solidaire de nos plus réels intérêts, c’est que je la crois l’active ouvrière destinée à rassembler et à