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REVUE DES DEUX MONDES.

On fait plus de progrès en une heure auprès d’une femme, parce qu’elle a plus de courage et qu’elle en donne davantage, qu’en un jour auprès d’une jeune fille. Celle-ci est semblable à une noix verte, il faut en ôter d’abord l’enveloppe, puis la coquille, enfin la peau ; une noix mûre il suffit de l’ouvrir.


Les années donnent une plus douce harmonie de cœur aux hommes trop énergiques et trop passionnés ; mais elles ôtent plus qu’elles ne donnent à un caractère froid et endurci. Les premiers ressemblent aux jardins anglais que le temps rend toujours plus verts et plus touffus. L’homme du monde, au contraire, nous rappelle ces jardins français qui, dans leur vieillesse, sont couverts de rameaux amaigris et mutilés.


Basedow propose de placer dans un jardin trente jeunes enfans, de les y abandonner à leur développement naturel, de ne leur donner que des serviteurs muets qui ne porteraient pas même les vêtemens de l’humanité, enfin de dresser un procès-verbal de tout ce qui s’y passerait. La préoccupation des choses possibles empêche seule les philosophes de voir celles qui existent réellement ; autrement, Basedow aurait pu remarquer que nos écoles de campagne et nos pédagogues de village sont des jardins semblables, où la philosophie veut éprouver ce que deviendraient les hommes, s’ils étaient dépourvus de toute espèce de culture.


L’amour que l’on porte aux hommes, à mesure qu’il s’accroît, affaiblit de plus en plus le plaisir humoristique que l’on trouve dans la folie d’autrui. La folie d’un ami de cœur ne nous fait éprouver qu’une douleur amère, pourquoi ne pas vouloir traiter tous les hommes comme des amis de cœur ?