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« Tout-à-coup un enfant s’écrie : « Patron Luzerne ! où est la mer ?

« — C’est, ma foi, vrai, dit le patron Luzerne en se grattant l’oreille, il nous faut une mer assez grande pour contenir notre vaisseau. Nous avons oublié cette mer. Où diable, avais-je la tête ? L’enfant a raison ; il ne nous manquait que la mer ! »

Il y a des contes traditionnels sans nombre dans ce goût. Cela doit être. Les traditions se conservent et se perpétuent dans les professions héréditaires. Telle est la profession de marin, où il est rare que le fils ne soit appelé à succéder au père. C’est la nuit que ces choses se disent, et les nuits de mer entraînent croyance, car elles sont pleines d’immensité et de silence : non du silence de la terre, qui serait du bruit à côté.

N’y aurait-il pas la plus intéressante série de romans, d’histoires, de contes, de toutes sortes d’œuvres, dans ces époques si diverses d’âge, de croyances, de découvertes, d’industrie ? La mer a eu aussi à sa surface ses temps fabuleux, son moyen âge et sa réforme. Il n’y a qu’à choisir. Ne serait-il pas curieux de la prendre d’aussi haut que possible, avec ses barques faites d’un tronc d’arbre, pour la ramener, sans oublier les caravelles non pontées sur lesquelles Colomb découvrit l’Amérique, jusqu’à nos jours, où elle assouplit ses ondes sous le formidable vaisseau à trois ponts ? On verrait quel élan la mer a donné à la civilisation, relation philosophique qui prouve, lieue par lieue ce que les peuples ont valu par la mer. Sans les croisades, prétexte politique ou religieux, n’importe, qui éloigna la noblesse française, les républiques d’Italie n’eussent jamais acquis la moindre importance. L’effet le plus marqué que produisirent ces navigations sur la Méditerranée, fut d’ôter l’exercice de cette mer aux Grecs et aux Arabes pour en favoriser les Latins. Elles portèrent au plus haut point de splendeur les républiques de Venise, de Gênes, de Pise et de Florence, dont l’accroissement fut prodigieux durant les guerres saintes, et qui devinrent opulentes, soit en louant des vaisseaux, soit en partageant la conquête, soit en faisant librement le com-