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l’expédition d’Égypte. Au moment de l’empire, sur l’un des registres ouverts pour recueillir les votes de l’armée, il mit non. À quelque temps de là Bonaparte passant la revue de son régiment arrive à lui : — C’est donc vous qui n’avez pas voulu que je fusse empereur ? — Oui. — Et pourquoi ? — Parce que ce n’était pas la peine de couper le cou à Louis xvi, si c’était pour avoir un empereur. — Rendez-vous chez vous pour y attendre mes ordres. Ces ordres ne se firent pas long-temps attendre ; c’était une destitution et une injonction de quitter la France sous deux jours. Le commandant B… passa en Italie. Il essaya quelque temps de lutter contre la mauvaise fortune, contre des besoins toujours renaissans. Mais il vit sa cause perdue. Il n’avait d’autre ressource que son épée ; il finit par l’offrir à un ancien camarade, autrefois soldat comme lui, avec lui, puis devenu roi à la suite des aventures de la république, à Murat. Sous Murat, il continua à guerroyer, monta en grade, et à sa chute rentra en France où il obtint une retraite. Mêlé depuis ce temps, à Rome, à je ne sais quelle histoire de carbonari, il y avait été quelque temps en prison. Puis enfin, sans trop de raison, aiguillonné par quelque ancien goût de bivouac et de poudre à canon, il était venu mettre au service de M. de Bourmont ce qu’il avait appris d’arabe sous Bonaparte et Kléber. Là, il ne se faisait pas faute de redire les mêmes paroles que jadis il avait si rudement jetées à la face de Napoléon. À cheval depuis trente ans sur son raisonnement, il avait traversé toutes les révolutions de notre temps, s’était allé heurter à tous les évènemens sans en être désarçonné ; il répétait encore imperturbablement, sans variante aucune : — Et au fait, n’avais-je pas raison ? était-ce la peine de couper le cou à Louis xvi pour avoir un empereur ? À cela dit de la sorte, à celui qui le disait, qu’eussiez-vous trouvé à répondre ? quant à moi, je le confesse, je n’y trouvai jamais rien. Aussi notre conversation qui arrivait nécessairement là, quel qu’eût été son point de départ, s’y terminait-elle le plus souvent. Mais ce n’en était pas moins un vrai plaisir pour moi que de me trouver avec ce brave et loyal officier, avec ce républicain aux convictions d’airain. J’aimais à penser que Bonaparte, ce Bonaparte dont nous avons fait je ne sais quel être fantastique plus qu’un homme, plus qu’un dieu, au dire de quelques-uns, un jour aussi s’était trouvé vis-à-vis ce même homme, et que lui-même, non pas ici par aide-de-camp, chambellan ou ambassadeur, mais de sa propre bouche, le fixant de ce regard dont tant de gens ont pré-