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auxquels suffisent à peine les voluptés effrénées de leurs harems, on se plaît à ce contraste comme à celui d’un volcan dont on entend bouillonner la lave, et mugir la flamme, à travers la glace et la neige qui le couvrent.

Les Turcs n’étaient pas seuls d’ailleurs à m’attirer en ce lieu. Notre expédition avait amené à Alger bon nombre de gens à physionomie singulière, à existence excentrique ; de ces gens dont la guerre, les voyages, l’aventureux de tout genre, sont le domaine, la patrie, presque toujours intéressans, amusans à écouter, à pratiquer : nos interprètes, par exemple. La plupart de ces derniers (toute classification laissant d’ailleurs large part aux exceptions) étaient de ces sortes de gens que je viens de désigner. Français ou Italiens, que des motifs divers presque toujours politiques avaient fait sortir de leurs pays, ce n’était pas, vous vous en doutez bien, sur les bancs du Collége de France qu’ils avaient appris ce qu’ils savaient de turc et d’arabe ; c’était en courant le Levant en marchands aventureux, ou plus souvent encore en vrais soldats de fortune. Ils arrivaient de Constantinople, de Smyrne, d’Alexandrie, de Damas, de Jérusalem. Vous n’eussiez pu déterrer dans tout le Levant un coin de terre où l’un d’eux au moins n’eût été, un événement où quelqu’un d’entre eux n’eût mis la main. Il s’en trouvait qui s’étaient battus pour Ali, pour Ibrahim ou pour les Grecs ; les mêmes avaient été tour-à-tour aux Grecs et aux Turcs, selon que la solde était meilleure ici ou là. Tous racontaient à plaisir des guerres, des naufrages, des caravanes à travers les déserts, des faveurs et des disgrâces de pacha, des aventures où se trouvaient jetés pêle-mêle des murailles escaladées et des intérieurs de harems, où brillaient confusément des lames de poignard et de beaux yeux de sultanes : que sais-je ? Tout cela ne laisserait pas que de m’embarrasser quelque peu, s’il me fallait en faire, comme on dit, la preuve légale ; eux tout autant, je suppose. Mais cela n’en était pas moins amusant à écouter. Je mêlais tous ces récits les uns aux autres à mesure que je les entendais ; je les confondais, je les enlaçais, je les nouais entre eux de mille façons, et je m’en faisais ainsi, tout en fumant ma longue pipe, comme un roman bizarre dont j’aurais feuilleté quelques pages, comme un drame fantastique qui se serait joué pour moi tout autour de la Méditerranée. — Que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?

Parmi les personnages de ce roman ou de ce drame, il en était trois avec qui je me trouvais le plus volontiers : un Grec