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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

en effet sur tous ces points, et la disposition des esprits les faisait accueillir avec empressement. Aussi, malgré leur fausseté, malgré les assurances contraires que purent donner des ulémas, députés à l’assemblée par le général en chef, les scheiks ne se séparèrent qu’après avoir décidé à la presque unanimité la guerre aux Francs. Les avis les plus violens manquent rarement d’être goûtés par les assemblées délibérantes, surtout lorsqu’ils sont déraisonnables.

Mais autre chose de hurler la guerre avec de grandes acclamations, autre chose de la faire. Il n’existait alors chez les Arabes aucun motif qui pût les soutenir long-temps dans cette résolution. Ils n’étaient point accablés de ces charges pesantes qui font qu’un peuple veut réellement mourir ou s’en affranchir ; ils n’étaient point profondément, sérieusement blessés dans leur croyance, car trop de récits et de témoins oculaires démentaient les bruits de nos prétendues profanations : ils ne pouvaient avoir contre nous de ces haines d’esclave contre le maître, d’opprimé contre l’oppresseur, couvées de longues années pour éclater un jour, violentes, implacables, exterminatrices : c’était seulement un peu de mensongère fumée de victoire, qui, à propos de Belida, leur avait monté à la tête. Avant d’en venir aux effets, l’effervescence qu’elle occasionna s’était déjà dissipée tout entière en vaines et bruyantes paroles. À peine parla-t-on quelques jours d’un rassemblement général des tribus, qui ne s’effectua jamais, d’une attaque qui n’eut jamais lieu, et nous demeurâmes les paisibles possesseurs de la ville d’Alger et du territoire de la régence.

Alors tout service, ou à-peu-près, ayant cessé pour moi, je me mis à passer la plus grande partie de mon temps dans un café près du port, qui, avant les évènemens, était le rendez-vous habituel des janissaires. Ils y venaient encore en assez grand nombre. Là, nous échangions d’innombrables bouffées de tabac. Comme j’ignorais leur langue, et eux la nôtre, c’était à cela que se bornaient nos relations ; mais je le regrettais vivement. J’aimais la noblesse, la dignité soutenue, la gravité de leurs manières ; j’aimais l’opposition tranchée, et selon moi pleine de charme, de leur calme extérieur, de leur impassibilité apparente, avec la fougue, l’énergie connues de leurs passions. Lorsqu’on les voit demeurer de longues heures immobiles, comme devenus de marbre, si l’on se met à penser à leurs emportemens furieux, à leur mépris de la vie, à leurs amours indomptables