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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

jeune officier qui vient d’apprendre la mort de son frère, et qui pleure. — Pauvre jeune homme, je le plains. — Et vous, général, que pensez-vous des dernières nouvelles d’Amédée ? — Mais elles sont bonnes ; bientôt, je l’espère, il sera avec nous. — Moi, je ne l’espère pas. — Auriez-vous donc d’autres nouvelles ? — Oui. — Mauvaises ? — Oui. — Est-ce que… Il ne put achever ; la vérité se montrait tout entière sur le visage de celui qu’il interrogeait. Il se laissa retomber sur le divan d’où il venait de se soulever. C’étaient les sanglots mal étouffés de l’un de ses fils qu’il avait entendus. Peu de jours après, celui qui avait été auprès de lui le messager de cette triste nouvelle, et qui tenait à lui par des liens de reconnaissance et d’affection qui en faisaient aussi un fils, fut à son tour frappé mortellement. Mais ce dernier événement dut, ce me semble, trouver M. de Bourmont préparé ; dans le malheur qui vint ainsi le frapper tellement à l’improviste, dans ce deuil de cœur qui vint former un odieux contraste avec l’éclat extérieur de sa situation d’alors, il y avait une sorte d’ironie de la destinée qui dut le faire entrer en défiance de l’avenir. Lorsque, bientôt après, l’exil, la pauvreté, la proscription vinrent s’asseoir à ses foyers, j’imagine qu’il les reçut comme des hôtes attendus.

Deux jours après cette triste nouvelle, M. de Bourmont fut visiter Hussein. Celui-ci sentit que, tout froissé qu’il pouvait être de sa propre chute, tout penché qu’il se trouvait sur le bord d’un abîme d’incertitude, et peut-être de misère, c’était pourtant lui qui, dans cette occasion, avait à se montrer généreux. Il adressa des paroles de consolation à celui qui habitait son palais et s’asseyait sur son trône. Il parla de fatalité et de sort irrévocable ; il balbutia des mots de résignation ; mais, pendant qu’il parlait de la sorte, il se souvint sans doute qu’il était père aussi : on vit, dit-on, une larme rouler dans ses yeux. Un même sentiment avait uni pour un instant deux hommes que tout faisait ennemis, dont l’un montait si haut alors sur la ruine de l’autre.

Nous procédions encore au désarmement des janissaires, lors que Hussein se présenta aux portes de la Casauba. Il fallut même se hâter pour lui éviter ce spectacle qu’il n’eût pas été généreux de lui laisser voir. Lorsqu’il sortit, peu s’en fallut qu’il ne se rencontrât avec le bey de Tittery qui venait recevoir une nouvelle investiture de son Beylick au nom du roi de France. Le bey attendait déjà depuis quelque temps ; mais enfin il n’en ar-