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sement de sa mésaventure. Arrivés deux heures plus tôt, nous eussions pu nous accommoder de ses femmes.

Jusqu’à ce campement de Staoueli, le terrein que nous avions parcouru avait été constamment couvert d’épaisses et verdoyantes broussailles, ne ressemblant en rien à l’idée qu’on se fait d’ordinaire de l’Afrique et de ses sables. On eût dit qu’elle voulait se cacher de nous sous un masque d’emprunt. Mais parvenu à l’emplacement des batteries turques, je vis tout-à-coup se dérouler devant moi une vaste plaine partout étincelante, partout éblouissante d’une terre rougeâtre ; çà et là, quelques palmiers aux troncs décharnés balançaient à une immense élévation leurs couronnes de sombres feuillages ; grand nombre de chameaux erraient par bandes en toute liberté ; des groupes de tentes étaient jetées, de côté et d’autre, dans la capricieuse fantaisie de l’Arabe, qui élève pour un seul jour sa cité nomade. Deux petits bois de figuiers aux branches entrelacées, s’offraient comme deux ports d’ombre et de verdure au milieu d’une mer de sable ; en même temps, aux dernières limites de l’horizon, enveloppé d’une robe de vapeurs, apparaissait l’Atlas aux sommets gigantesques, nous cachant le désert pour nous le révéler terrible, mystérieux, dévorateur ; et alors je reconnus l’Afrique. C’était l’Afrique que j’avais rêvée, celle que depuis les salons de Paris jusque dans la baie de Palme j’avais appelée de tant de vœux impatiens ; l’Afrique que j’étais venu voir, qui jusque-là avait manqué au rendez-vous, mais qui consentait enfin à se montrer dans sa beauté, aride, étrange, colossale.

La journée du 19 avait découragé les Turcs ; pendant plusieurs jours nous ne les revîmes plus. Les Bédouins, au contraire, ne cessaient de se montrer autour du camp par bandes nombreuses. Ils ne manifestaient aucune disposition hostile. Néanmoins, malgré toutes les démonstrations amicales que nous leur faisions, nous ne pûmes entrer en relations avec eux : à notre approche ils s’enfuyaient à toutes jambes.

Nous croyions savoir que notre gauche s’appuyait à la route d’Alger ; mais, comme il était important de nous en assurer, nous fîmes, le 23, une reconnaissance dans cette direction. Ce jour-là, les Bédouins, avec des Turcs à leur tête, avaient recommencé à travailler précisément de ce côté. Le lendemain, ils reparurent au nombre de plusieurs milliers. On fit prendre les armes aux deux premières divisions. Nous marchâmes à eux sans autre projet, je suppose, que de nous en débarrasser. Puis,