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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

l’aga, qui se trouvait gendre du dey, essuya ce traitement ignominieux avec une impassible soumission. Il salua et se retira.

Pendant ce temps, nous avions pris possession du camp de Staoueli ; et le lieutenant-général avec son état-major s’établissait dans la tente même du malheureux aga.

Cette tente n’aurait probablement que le nom de commun avec toutes celles que vous avez dû voir jusqu’à présent. C’était tout un appartement qui, pour être sous toile, n’en était ni moins commode, ni moins riche, ni moins complet. Un des petits côtés, car sa forme était un carré long, pouvait être relevé sur un certain nombre de piquets peints et sculptés, et présentait alors un élégant péristyle, un portique à frêles et gracieuses colonnes ; venait ensuite un vaste, un immense salon à fond de tenture rouge, sur laquelle ressortaient des rosaces, des festons, des ornemens de toute espèce, de couleur jaune et verte ; dans le fond, une ouverture mystérieusement recouverte de triples draperies, donnait entrée dans l’appartement des femmes, et derrière celui-ci se trouvait le poste des eunuques. Là, sous le péristyle, à la fraîcheur du soir, délicieuse après la chaleur accablante de la journée, nous dévorâmes à belles dents la cuisse d’un mouton qui peu d’instans auparavant paissait encore l’herbe sur laquelle nous le mangions. Un bidon rempli d’un gros vin de distribution passait hiérarchiquement, et sans jamais chômer, des mains du lieutenant-général à celles du grenadier de faction : c’était la coupe du festin. Cette chère était frugale ; mais, vous le savez, il n’est guère de mets que la fatigue et la faim ne rendent savoureux. Il y avait en outre quelque chose de piquant dans cette simplicité toute républicaine, en contraste avec le luxe d’un aga ; mais ce qui l’était bien plus encore, ce qui en était pour nous un merveilleux assaisonnement, c’étaient les joyeux propos dont nous ne nous faisions pas faute, au sujet des scènes diverses dont ces lieux avaient été le théâtre dans le courant d’une même journée. C’était en effet dans cette tente que le matin l’aga, au milieu de ses femmes, avait pris son café et fumé son narguillet ; c’était de là qu’entouré de ses gardes, de ses esclaves et de son cortège, il s’était élancé pour venir à nous à la tête de son armée ; c’était de là que peu d’heures après il s’était enfui, ne trouvant plus parmi la multitude qu’il avait été si fier de commander, de rangs assez obscurs pour s’y dérober à la colère du dey ; et c’était là enfin, qu’assis sur ses tapis, abrités sous sa tente, nous devisions joyeu-