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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

partout, les cadavres des Turcs étaient au premier rang, plus nombreux là où le danger avait dû être le plus grand. J’aimais à les voir fidèles à ces postes d’honneur où, d’après leur manière de combattre, c’était bien d’eux-mêmes qu’ils s’étaient portés, où ce n’étaient pas les liens de la discipline qui les avaient enchaînés. Il me semblait que, mourant ainsi au milieu, à la tête de ceux qui avaient été leurs sujets, leurs esclaves, ils avaient noblement légitimé leur domination passée, presque leur odieuse tyrannie. Parfois aussi je me prenais à penser que tout n’est peut-être pas fini dans le monde de l’histoire pour une race qui sait se faire tuer ainsi. Ces gens-là, à l’heure qu’il est, en sont encore à reconnaître un dieu dans le ciel, un maître sur la terre. En eux et en eux seuls, aujourd’hui, se trouvent encore ces nobles facultés de la croyance et du dévoûment, au moyen desquelles une multitude fait faisceau et devient un levier dans la main d’un homme. Mettez cela à la portée d’un Timour ou d’un Bonaparte, puis dites-moi si notre Europe, toute vieille qu’elle est, ne pourrait pas encore être remuée de quelque étrange façon.

À midi, ai-je déjà dit, nous commençâmes notre mouvement. La première et la deuxième division marchèrent en bataille en ordre inverse, la seconde à droite. La première division avait en face d’elle l’artillerie ennemie, elle avait ordre de s’avancer jusqu’au pied de la hauteur que couronnait cette artillerie, et là, pour quelques instans à l’abri du boulet, de s’arrêter jusqu’à ce que la deuxième division, conversant sur elle, eût tourné ces batteries, dont, en manœuvrant de la sorte, elle n’avait rien à redouter.

Notre division franchit avec difficulté, toutefois sans grande perte, l’espace qui nous séparait du pied de la hauteur. Là nous fîmes halte, attendant l’exécution du mouvement de la deuxième division, sur lequel nous comptions. Ce mouvement, j’ignore pour quelle raison, ne s’exécuta pas, et cette seconde division qui aurait dû nous précéder, se trouvait au contraire en arrière de nous. Il en résultait que notre position allait devenir périlleuse, car nous ne pouvions être encore défilés long-temps de l’artillerie turque, dont nous étions fort rapprochés, tandis que le feu de la nôtre de bas en haut demeurait sans efficacité. Cela détermina le lieutenant-général à prendre un parti définitif, à attaquer de front les batteries, qu’il s’attendait à voir tourner : nous nous remîmes donc en marche.

À mi-côte la charge battit. Il en était temps ; les soldats ; ha-