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REVUE DES DEUX MONDES.

La campagne qui nous faisait face, inondée d’un épais brouillard, étincela tout-à-coup d’une multitude de points lumineux ; de longs serpenteaux de feu s’y agitèrent en tous sens ; et plus loin, de l’emplacement des batteries, jaillirent à des intervalles réguliers de larges jets d’une flamme terne et rougeâtre.

Le janissaire aga, qui commandait les Turcs, s’était proposé d’écraser les trois régimens qui formaient notre gauche, et de nous séparer du rivage et de nos ressources en se jetant sur nos derrières.

La plus grande partie de la milice turque, soutenue par le canon de Staoueli, était chargée de cette attaque, et pendant qu’elle l’exécutait, le reste de cette milice, à la tête des Bédouins, devait nous attaquer sur toute l’étendue de notre front.

Pour exécuter ce plan, d’ailleurs fort bien conçu, les Turcs se précipitèrent sur nous avec une admirable bravoure. En un instant, la première ligne de nos postes fut repoussée, les petits retranchemens qui les couvraient enlevés.

À l’extrême gauche, un bataillon du 28e en première ligne, après avoir perdu en quelques minutes le tiers de son monde, puis épuisé ses munitions, se vit forcé de se reployer sur le bataillon de seconde ligne. Celui-ci était aussi sans munition. Le régiment entier se trouva alors exposé à un feu meurtrier auquel il ne pouvait répondre, ne pouvant non plus aborder à la baïonnette un ennemi qui ne tenait nulle part. Sa position était au moment de devenir assez critique, peut-être même y avait-il quelques inquiétudes à concevoir sur ce point, lorsqu’un régiment de la 3e division formant la réserve se porta en avant ; de nouvelles cartouches furent distribuées et le combat se rétablit dès-lors avec égalité. Il en était de même sur le reste de la ligne, où le feu se maintint également vif des deux côtés pendant plusieurs heures.

Pendant ce temps, la plaine et les collines qui se trouvaient en face de nous se dégagèrent peu-à-peu du voile de vapeurs qui les avaient cachées depuis le matin. Elles étaient couvertes de Turcs et d’Arabes. En réalité trois fois plus nombreux que nos deux premières divisions les seules engagées, mais multipliés en quelque sorte par la rapidité de leurs mouvemens, par leur manière de combattre qui les disséminait sur un terrain immense, ils paraissaient l’être dix fois davantage. Nous semblions comme perdus au milieu de leur multitude. C’était pourtant dans nos rangs resserrés qu’était la vraie force, la force qui remue le