Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/673

Cette page a été validée par deux contributeurs.
658
REVUE DES DEUX MONDES.

manières perçaient une arrogance, un dédain que ne tempéraient aucune noblesse, aucune dignité. Tirant ensuite sa bourse, il voulut lui donner, ou plutôt lui jeter quelques pièces d’argent ; mais à peine le vieillard eut-il vu ce geste ou deviné cette intention, qu’il recula vivement de deux ou trois pas, jetant en même temps ses mains en avant pour repousser ce qui lui était offert ; tout son vieux sang parut se rallumer pour venir porter à son visage l’expression d’une généreuse indignation : puis tout aussitôt faisant à son tour le geste de fouiller dans ses poches, il fit comprendre que lui-même était disposé à donner de l’argent, non à en recevoir. Cette pantomime inattendue, rendue assez piquante par le contraste de ses haillons et des broderies du général, termina la scène à son avantage, en mettant, comme on dit, les rieurs de son côté. De grands éclats de rire partirent çà et là parmi ceux qu’elle avait pour spectateurs, et je dois avouer que je fus de ceux-là, malgré la subordination, peut-être à cause d’elle.

Au quartier-général, l’Arabe se borna à répéter pendant long-temps les mêmes exclamations dont il avait été si prodigue avec nous. Cependant un interprète dont il partageait la tente, étant parvenu à gagner sa confiance, il finit par s’ouvrir à ce dernier. Personnage important d’une des tribus arabes, il s’était dévoué à venir sous l’habit d’un pauvre marabout, à travers mille fatigues et mille dangers, voir de près les étrangers qui envahissaient sa patrie. Il voulait leur demander à eux-mêmes compte de leurs desseins, savoir la conduite qu’ils voulaient tenir avec les tribus déjà opprimées par les Turcs, et surtout s’il était bien vrai qu’ils fussent, comme on le disait, les ennemis de la loi et du prophète. Vous vous doutez bien à-peu-près des réponses qu’il reçut. Nous nous montrâmes les zélés protecteurs des tribus si méchamment tyrannisées. C’est tout au plus s’il ne dut pas croire que ce fût à l’unique intention de les délivrer que nous avions passé la mer. Et quant à la loi et au prophète, si Mahomet nous eût entendus, il aurait eu mauvaise grâce à ne pas se montrer satisfait. Aussi notre marabout supposé le fut-il complètement, tellement qu’il demanda dès le lendemain à retourner parmi les siens, pour leur répéter ce qu’il venait d’apprendre. Affectant de l’assurance en faisant cette demande, il laissait toutefois percer quelques craintes d’un refus. — Je ne suis pas votre prisonnier, se hâtait-il de dire ; je suis venu de mon plein gré au milieu de vous. Personne ne lui disait le contraire. On se disposa à le