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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

un vieillard encore plein de force et de verdeur, mais dont les nombreuses rides annonçaient bien soixante-dix ans. Il était haletant, épuisé de fatigue et aussi de faim, comme il nous l’apprit plus tard ; car, pour exécuter le dessein qu’il avait formé de venir à nous, il lui avait fallu se tenir caché trente-six heures dans les broussailles ; et depuis ce temps, il était à jeun ; de plus, se voyant au milieu de nous, bien qu’il l’eût voulu, la terreur le saisit ; nous eûmes bien de la peine à le rassurer par mille protestations transmises, peut-être aussi un peu défigurées par un interprète. Quelques gouttes d’eau-de-vie l’ayant un peu ranimé, nous le conduisîmes alors à l’état-major de la première division. Là, il s’assit les jambes croisées, chargea sa pipe, et se mit à fumer. Il affectait en tout cela une grande impassibilité. Néanmoins, certaine contraction nerveuse, qui de temps à autre plissait son front, dénotait une profonde émotion. Son menton rasé, tout son extérieur, et plus que tout cela, ses discours où le nom de Dieu se trouvait à chaque parole, annonçait un marabout ; « Dieu est grand, ne cessait-il de répéter ; c’est Dieu qui l’a voulu ; que la volonté de Dieu soit faite ! « Entre autres questions, l’un de nous, lui montrant la foule de soldats qui nous entourait, nos faisceaux d’armes et nos canons, lui fit demander si avec tout cela il croyait qu’il nous serait bien difficile de venir à bout des Turcs. À cela le vieillard se saisit de quelques petites branches sèches qui se trouvaient à sa portée, et les brisant une à une, il les jeta au fur et à mesure loin de lui, répétant plusieurs fois : Si Allach ! si Allach ! si Dieu le veut, voulait-il dire sans doute, il en sera comme de ce bois. Cependant lorsqu’il se fut reposé assez de temps ; lorsqu’il eut plusieurs fois rempli et vidé sa pipe, mangé des oranges et des citrons que nous lui offrîmes ; qu’on eut épuisé tous les moyens possibles de le rassurer ; que nous lui eûmes vraiment fait, nous, c’est-à-dire, les officiers qui se trouvaient là, autant de coquetteries qu’à une jolie femme, vieux et laid qu’il était, le lieutenant-général me chargea de le conduire au général en chef. Je n’en vins pas à bout sans quelque difficulté. La foule accourait sur notre passage de manière à le rendre impossible, il fallut du temps, et l’aide d’une compagnie de grenadiers, beaucoup de patience, et passablement de coups de crosse.

Pendant ce trajet, un lieutenant-général nous arrêta quelques instans ; il interrogea l’Arabe d’un ton hautain, en l’examinant avec une sorte de curiosité méprisante. Dans toutes ses