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dans la même direction, eût été dépenser inutilement grand nombre d’hommes ; elle reçut donc l’ordre de suivre le mouvement des deux autres brigades.

Cheminant à travers des broussailles élevées, nous entendions autour de nous d’étranges sifflemens. La terre, bien qu’aucun souffle n’agitât les arbres, se jonchait sous nos pas de feuilles et de branches brisées. Des hommes tombaient aussi dans nos rangs. D’ailleurs, quoique nos tirailleurs soutinssent une vive fusillade, nous avions déjà marché depuis assez long-temps, que nous ne savions pas encore à qui nous avions à faire. Mais tout-à-coup nous entendîmes crier en avant de nous : À nous les têtes de colonnes ! à nous, à nous ! Nous nous élançâmes au pas de course. C’étaient nos voltigeurs groupés, pelotonnés en cercle, assez vigoureusement chargés par les Bédouins, qui nous appelaient au secours. Nous les dégageâmes promptement ; ils reprirent l’offensive. Alors pour la première fois je vis distinctement les ennemis avec qui nous étions aux prises. Ils combattaient en tumulte, en désordre, mais avec adresse et bravoure. Les uns à pied ajustaient lentement, posant leurs longs fusils sur quelque branche d’arbre, et après avoir tiré s’élançaient à quelques pas pour recharger. Les autres sur de petits chevaux nerveux, infatigables, galopaient sur les pentes rapides, les rochers escarpés, à travers les plus épaisses broussailles ; arrivant à nous à toute bride, ils s’éloignaient de même après avoir fait feu. C’était encore, en un mot, toute la manière de combattre de ces Numides, qui sur les mêmes lieux fut si souvent fatale aux Romains, malgré leur bravoure et leur savante discipline. Les armes seules avaient changé. Au milieu d’eux les Turcs se faisaient facilement reconnaître, remarquables qu’ils étaient à leurs vêtemens de couleurs éclatantes et surtout à leur intrépidité.

Après les avoir chassés devant nous l’espace de quelques heures, perdant assez de monde, mais n’éprouvant nulle part de résistance, nous nous trouvâmes maîtres de leur position.

Nous vîmes alors que, pour attaquer cette position par sa droite, il nous eût fallu marcher pendant trois quarts de lieue sur un terrain découvert, uni, incliné du côté de la mer, un vrai glacis, en face d’une batterie de douze pièces de gros calibre, dont pas un coup n’eût été perdu. Le succès de l’attaque eût pu être fort douteux. En admettant qu’il eût été complet, il eût été chèrement payé. Peut-être en serait-il resté de fâcheuses impressions dans l’esprit du soldat. Loin de là, il était maintenant plein