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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

restes, brûlant à peu de distance du port, avait fourni, peu de mois auparavant, à la population de Toulon, un magnifique et terrible spectacle, apparaissant tantôt comme un volcan d’où jaillissaient de larges flammes à travers une épaisse fumée ; tantôt, en raison de la diversité des matières qui brûlaient, comme un fantastique navire à carcasse d’or, à mâture de porphyre, aux cordages et aux agrès d’argent ; puis enfin, comme une immense fournaise ou la flamme et l’eau se combattirent long-temps avec d’étranges sifflemens, d’horribles bouillonnemens : et tout cela était autant d’évènemens dans la monotonie de notre existence.

Un jour arriva cependant où le vent se déclara pour nous. Il était faible, et c’est à peine si nous osions espérer. Cependant nous ne quittâmes plus des yeux le vaisseau amiral, jusqu’à ce que le pavillon de partance s’y fût déroulé. Lorsqu’il le fut, nous regardâmes aussitôt autour de nous avec une impatiente curiosité, pour voir ce qui allait se passer. Mais, comme si notre attente eût dû être trompée jusqu’au bout, les préparatifs qui se faisaient sur chaque vaisseau n’étant point visibles pour les autres, la rade conserva pendant plusieurs heures le même aspect : tout au contraire même de ce qu’il eût été possible d’imaginer, un nombre d’embarcations dix fois plus considérable que de coutume se dirigea vers la terre ; elles portaient sans doute des gens qui couraient achever leurs affaires, dire un dernier adieu. Lorsqu’elles revinrent, beaucoup d’autres les accompagnèrent qui entourèrent chacun de nos vaisseaux de ligne, et il s’en éleva pendant quelques instans de longs cris d’adieu, mille souhaits de bon voyage.

Ce fut un bâtiment de transport dont chacun s’empressa de remarquer le numéro, qui le premier mit enfin à la voile. Passant près de la Ville de Marseille que je montais, il inclina de son côté comme s’il l’eût saluée, et gagna la pleine mer. Deux ou trois autres suivirent d’autres encore, et lorsque tous furent en mouvement, arriva le tour des bâtimens de guerre. La Couronne et le Duquesne dont nous étions voisins, mirent au vent leurs larges voiles ; puis enfin le Trident, monté par l’amiral Rosamel, et dont l’équipage avait fait long-temps, dans les mers du levant, l’admiration des Anglais eux-mêmes.

En ce moment, la forte voix de notre capitaine retentit sur le pont. Un peuple de matelots marcha, courut en tout sens dans les labyrinthes de cordages qui se croisaient au-dessus de nos têtes. D’autres matelots tournèrent le cabestan, appuyant