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veur d’être appelé à en faire partie. Au départ des régimens de leurs diverses garnisons pour se rendre à Marseille, Aix ou Toulon, où se rassemblait l’armée, aucun homme ne leur manqua. Ils ne s’allongèrent pas en route, comme c’est assez l’usage, d’une longue queue de traînards ; ils ne laissèrent que peu de malades dans les hôpitaux, et arrivés à destination, se présentèrent à nos revues préparatoires au grand complet. À la vérité, je vis sous les armes bon nombre de soldats qui tremblaient de la fièvre, et se refusaient absolument à entrer à l’hôpital dans la crainte qu’un départ précipité ne les y fît oublier.

C’était là le résultat de cette belle loi du recrutement que l’armée devait au maréchal Saint-Cyr. On ne saurait avoir une meilleure espèce de soldats que ceux qu’elle amène sous les drapeaux. Depuis douze ans, l’avancement était donné à l’ancienneté, ou le choix était resserré dans des limites, soumis à des conditions qui rendaient difficile d’en abuser. La paix avait dû amener dans l’organisation, l’administration, l’équipement, grand nombre de perfectionnemens de détail, et cela s’était fait à tel point, que j’ai vu des officiers généraux depuis long-temps éloignés des troupes admirer la bonne mine de celles-ci. En un mot, je ne pense pas qu’aucune autre puissance de l’Europe eût pu montrer à cette époque une petite armée mieux équipée, mieux habillée, plus manœuvrière, plus homogène dans toutes ses parties, mieux engrenée dans tous ses rouages, animée d’un meilleur esprit, plus maniable enfin à la main d’un chef.

Ce chef, M. de Bourmont, il faut bien en convenir, était repoussé par les convictions, par les sympathies politiques de beaucoup de ses subordonnés. Toutefois, comme l’expédition qu’il commandait, ne remuait pas vivement les passions de cette nature ; que, de plus, chacun se laisse tout naturellement aller à ne considérer les autres hommes que par le côté où ils se montrent à lui, le ministre, le personnage politique disparaissait assez facilement ici sous l’habit du général en chef. Ajoutez à cela que la politesse exquise de M. de Bourmont, son obligeance extrême, ses manières parfaites étaient un charme tout puissant pour adoucir de fâcheux souvenirs. Aussi, lorsqu’à la mort d’Amédée les journaux s’arrêtèrent un instant dans la sanglante fustigation dont ils flagellaient en lui depuis quinze ans l’homme du 14 juin, lorsque je lus dans le Journal des Débats, interprète d’un sentiment général en parlant ainsi : « M. de Bourmont est