Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/648

Cette page a été validée par deux contributeurs.
633
REVUE. — CHRONIQUE.

le définir. Si l’espace ne me manquait pas, je citerais ; mais, à défaut de citation, je peux vous dire du moins que la phraséologie de M. Eusèbe de Salle m’a rappelé tour-à-tour les plus pauvres pages de Gonzalve de Cordoue, de Bliomberis, des Incas et de Bélisaire. Je dis les plus pauvres pages, car Florian et Marmontel n’auraient pas écrit Ali-le-Renard ; mais l’auteur d’Ali imite volontiers les images pastorales du premier et l’emphase oratoire du second.

C’est pourquoi Ali-le-Renard, qui m’a fort et franchement ennuyé, pourrait bien réussir auprès d’une certaine classe de lecteurs, pour qui le style n’est rien, que le roman fatigue et que l’histoire embarrasse, et cette classe de lecteurs est malheureusement la plus nombreuse.



SOUVENIRS SUR MIRABEAU,
ET SUR LES DEUX PREMIÈRES ASSEMBLÉES LÉGISLATIVES, PAR ÉTIENNE DUMONT (DE GENÈVE).[1]


Ce livre intéressant et consciencieux est un complément nécessaire à tout ce qui a été écrit sur Mirabeau, et doit entrer pour beaucoup dans le jugement définitif qu’on portera des ouvrages, des discours et du caractère de cet homme célèbre. L’auteur, M. Dumont, de Genève, esprit honnête et juste, peu vif, peu varié, mais instruit, appliqué et spirituel à force de bon sens, à la manière écossaise, vint en France à l’époque de la révolution, et y eut avec l’illustre personnage des relations intimes d’amitié et de collaboration, dont il rend compte dans ces Souvenirs. Une grande candeur, une parfaite sincérité et une circonspection qui cherche avant tout l’exactitude, respirent dans cet écrit posthume comme dans la vie entière de M. Dumont. Ce n’est pas du tout, comme un de nos plus spirituels critiques, qui d’ailleurs a bien le droit de parler de Mirabeau, l’a dit un peu légèrement, ce n’est pas un Genevois empesé qui voudrait nous en faire accroire, en se donnant comme l’alter ego du grand orateur. M. Dumont ne se présente lui-même que comme l’un des obscurs faiseurs que Mirabeau savait mettre en œuvre : il confirme avec plus de précision et par de piquans et authentiques détails, ce qu’on savait déjà sur cette habitude de plagiat et d’emprunts perpétuels à laquelle Mirabeau s’est abandonné constamment depuis les Lettres à Sophie, qui sont pleines de pages pillées, jusqu’à son dernier discours sur les successions, lu à l’assemblée nationale par M. de Talleyrand, et qui fut composé par M. Reybaz. Malgré tout

  1. Genève, Cherbulliez. Paris, Gosselin et Bossange.