Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/613

Cette page a été validée par deux contributeurs.
598
REVUE DES DEUX MONDES.

qu’on rencontre à chaque pas, dans nos rues à l’époque de la fête-Dieu.

M’étant arrêté près de la porte, j’examinais curieusement cette espèce d’autel, me penchant dans la boutique afin de mieux voir, lorsqu’une jeune femme que je n’avais pas encore aperçue, venant gracieusement vers moi, me fit signe d’entrer. — Elle souriait, mais à travers son sourire, je trouvais sur son beau visage une vive expression de tristesse et de souffrance. Elle me prit la main et me conduisit auprès de cette table qui lui avait sans doute paru vivement attirer mon attention. Alors je m’inclinai et je vis que j’avais pris pour une image de cire, un petit enfant qui me sembla tout nouvellement né et que je crus d’abord simplement endormi, tant ses traits, bien qu’il fût fort pâle, étaient cependant calmes et purs !

Mais je relevai la tête. La jeune femme se tenait debout en face de moi, de l’autre côté de la table. Je rencontrai ses grands yeux noirs, humides et voilés, pleins de larmes prêtes à déborder. Une inexprimable douleur s’était répandue sur ses traits. — Je me baissai encore et regardai de nouveau l’enfant. — Oh ! tout m’était expliqué. — Ce léger souffle, qui seul sépare le sommeil de la mort, ne s’échappait plus de ses lèvres ; il ne respirait plus ; — il était mort. – cette pauvre jeune femme en pleurs, — c’était sa mère.

Je n’osais lui parler. Que dire à une mère en de pareilles peines ? Où trouver des paroles qui lui soient consolantes ! En présence de ses larmes il n’y a qu’à se taire, il n’y a qu’à pleurer soi-même. — Oh ! mes yeux n’étaient pas non plus demeurés secs. Ils s’étaient de nouveau baissés ; à travers leur voile, je voyais l’enfant étendu comme en un berceau, sur le drap blanc dont la table était couverte. Sans doute ses langes lui avaient servi de linceul. Celui qui l’enveloppait, orné de nœuds de ruban de satin, passait sous ses bras, comme un maillot. Un petit oreiller, garni de mousseline brodée, soulevait sa tête couronnée de roses de bengale et de pois de senteur. Dans ses deux petites mains jointes, on avait mis aussi des roses. De chaque côté de la table étaient placés des vases pleins d’œillets, de giroflées et de