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aurait été une première ; qu’il y eût deux natures au lieu d’une seule. Les individus qui ont déjà été, ne peuvent donc recevoir une seconde fois la même existence. Ce n’est pas tout ; je ne suis pas né seul dans mon espèce : au moment où je naquis, la force triplement complexe qui me constitue, et constitue l’humanité, en même temps qu’elle me donnait l’être, se manifestait aussi dans l’univers, au milieu de toutes les circonstances, qui alors se trouvaient possibles ; et cependant nulle autre part qu’où je suis né, ces circonstances ne pouvaient se grouper tout-à-fait identiques à celles qui ont entouré ma naissance ; il aurait fallu pour cela que la nature entière se scindât en deux mondes à-la-fois parfaitement identiques, et parfaitement distincts. De là résulte que deux individus, vraiment les mêmes, ne peuvent pas plus naître au même instant, que dans la durée des temps. C’est ainsi qu’il a été nécessaire que je fusse bien moi ; que je fusse inévitablement la personne que je suis. J’ai donc trouvé la loi définitive en vertu de laquelle je suis ce que je suis. Je suis, ce que la force constituant l’homme, étant dans son essence ce qu’elle est ; se manifestant hors de moi comme elle se manifestait au moment de ma naissance ; se trouvant avec toutes les autres forces de la nature dans les rapports où elle se trouvait alors, pouvait produire ; et comme elle ne recèle en elle-même aucune puissance de se modifier, de se limiter d’une façon quelconque, je suis aussi ce qu’elle devait nécessairement produire, ce qu’elle ne pouvait pas ne pas produire. Je suis, en un mot, le seul être qui fût possible, dans le rapport universel des choses. Un esprit dont l’œil saurait lire dans les abîmes mystérieux de la nature à la vue d’un seul homme devinerait les hommes qui ont précédé celui-là et ceux qui le suivront. Dans ce seul homme lui apparaîtrait la multitude infinie des hommes, l’humanité tout entière. Puis comme c’est de même ce rapport qui se trouve entre moi et la nature qui détermine, ce que j’ai été, ce que je suis, ce que je serai, cet esprit, d’un moment donné de mon existence, pourrait lire aussi ma vie tout entière dans le passé et dans l’avenir ; car encore une fois ce que je suis ou ce que je serai, je le suis, ou je le serai nécessai-