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DE LA LITTÉRATURE MARITIME.

lois leur prophète, Montesquieu ; il se fait que la navigation avec ses annales de triomphes et de revers sous l’abri de notre pavillon, soit tombée, sans immortaliser une plume, dans le commun usage de la vie. En nous accordant sur ses phases, nous en avons dédaigné les magnificences. L’écrivain pittoresque ne s’en est pas emparé. Elle n’a eu ni chronique, ni épopée pour ses époques primitives, ni drame pour ses âges de lutte, ni roman pour ses jours de délassement, ni son Hérodote, ni son Homère, ni son Sophocle, ni son Cooper. Je parle toujours pour la France[1].

Est-ce que l’autorité de l’âge ou de la priorité a manqué à la France ? Mais Guillaume le Conquérant ne passa de la Normandie en Angleterre que sur nos vaisseaux. Est-ce pour n’avoir pas impérieusement besoin du concours de mer ? Mais la carte nous indique assez que la France n’est pas si continentale, lorsqu’on la voit baignée par l’Océan et la Méditerranée dans la moitié de sa lisière, lorsqu’un canal la détache presque entièrement de l’isthme qui la noue à l’Espagne, les Pyrénées ; lorsque enfin nous comptons plus de trois cents lieues de côtes depuis Saint-Jean-de-Luz jusqu’à Dunkerque. Est-ce parce que ses possessions coloniales n’offrent aucune consistance politique, qu’elles ne la touchent par aucun lien bien puissant d’intérêt et de relation ? A-t-on donc oublié que nous avons eu Saint-Domingue, la Louisiane, le Canada, l’Île-de-France, Pondichéry, une ligne immense de comptoirs depuis l’Atlas jusqu’aux Bissagos ? et que

  1. Ici je dois faire mes réserves. On ne m’accusera pas d’injustice, si je ne cite pas, dans le cours de cet article, quelques noms très recommandables chez nous par d’énergiques essais sur la littérature maritime. D’abord, les uns s’en sont tenus à des tentatives, ils préludent ; d’autres nous laissent encore sous le charme de ce qu’ils peuvent faire : quelques-uns ont fait, et n’ont pas encore publié leurs œuvres. On comprend tout ce qu’il y aurait d’incomplet dans une appréciation basée sur des données aussi mouvantes. L’impulsion, d’ailleurs, n’est que d’hier : mon étonnement est qu’on ne s’y soit pas pris plus tôt. J’ai cru aussi devoir m’abstenir de toutes citations : d’abord, parce qu’elles ne prouvent rien ; ensuite parce qu’elles eussent doublé l’étendue de cet article déjà bien long.