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VOYAGE EN SIBÉRIE.

dérés comme une garantie importante dans le commerce, car les marchands chinois, au dire des Russes, sont d’une grande probité. On étudie ces noms à Kiachta avec autant de zèle que l’on en met chez nous à l’étude du sanscrit. Ils sont rassemblés dans des catalogues avec la traduction russe, et l’on enseigne aux enfans à les déchiffrer.

L’habitation d’un marchand est plus élégante que celle du sargutschei. Ordinairement elle lui sert aussi de magasin ; dans ce cas, les murs de l’appartement sont ornés de jolies armoires, qui contiennent les marchandises rangées avec ordre et régularité. Le mode de chauffage employé par les Chinois est singulier. Au milieu du magasin se trouve un réchaud de fonte destiné à faire bouillir le thé, et près de la muraille est construit un foyer en briques dont la partie supérieure est de bois. Ce poêle, sur lequel on place des tapis et des coussins, sert à-la-fois de lit et de sopha. Je vis ce meuble chez tous les marchands que je visitai, et j’en visitai un grand nombre.

Nous sortions de chez un marchand chinois lorsqu’un Mongol passa près du sargutschei et eut le malheur de le heurter. Le brave Mandchou se fâcha, et tout en colère donna ordre aux soldats de police qui l’accompagnaient de s’emparer du coupable. Je restai en arrière pour être témoin de l’exécution de cet ordre. Les deux soldats poussèrent contre la muraille le malheureux Mongol, tout tremblant de peur ; ils lui mirent au cou une chaîne en fer, et, comme il cherchait à se justifier, ils lui donnèrent de vigoureux soufflets qui le firent taire. Bientôt le patient fut entouré d’une foule d’hommes du peuple qui gesticulaient autour de lui, et dont il reçut sans doute les admonitions les plus énergiques, car tous les discoureurs terminaient leurs périodes, en lui mettant le poing sous le nez ; enfin un des soldats le tira par la chaîne, et l’entraîna vers la prison. C’est quelque chose d’étrange qu’une prison chinoise. Figurez-vous une planche percée de deux trous, où l’on fait entrer de force les deux mains du prisonnier, et placée de manière à ce qu’il ait toujours les bras élevés au-dessus de la tête. Exposé en plein air et dans cette attitude, il subit ordinairement pour