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il était déjà trop vieux et trop grave pour faire le dandy.

On prit place sur des bancs le long de quatre petites tables carrées ; les Russes d’un côté, et les Chinois de l’autre. L’interprète russe-mongol se tenait derrière le siége du directeur de la douane, et deux officiers du sargutschei lui traduisaient le mongol en mandchou, car c’est la seule langue qu’il comprenne. La conversation ne languit pas, et comme entre personnes qui ne se voient qu’une fois par an, il fallut remplir, de part et d’autre, tout le cérémonial obligé de la politesse. Sur chaque table se trouvait une boîte en carton, ronde et couverte, que l’on ouvrit dès que tout le monde eut pris place. Elle était à compartimens, et renfermait une grande variété de fruits secs. Cette boîte ressemble exactement à ce que l’on nomme chez nous un cabaret, meuble d’invention chinoise. Les convives goûtèrent, autant qu’ils le purent, de tous ces fruits, parce qu’en Chine, à table, un homme de bon ton doit manger de tout. En même temps que les fruits, on servit le thé, avec du sucre dans le milieu du cabaret pour les Européens. Puis, les sucreries furent enlevées, et l’on plaça devant chacun de nous une feuille de papier blanc en guise de serviette, et des petits bâtons en ivoire, de forme ronde, et de la grandeur d’un crayon, dont on se sert comme de fourchettes. On en donne deux à chaque convive, et il faut les tenir d’une seule main, tout en prenant avec la pointe ses alimens, ce qui est assez difficile pour les étrangers. Les tables furent entièrement couvertes d’une multitude de petites soucoupes en porcelaine, qui renfermaient chacune un mets différent, découpé en tranches très fines, afin qu’on pût facilement les saisir avec les bâtons d’ivoire ; aussi tous ces plats étaient autant d’énigmes pour nous, et il fallait toute l’expérience des Russes pour nous les expliquer. On goûta de chaque mets très rapidement ; aucun d’eux cependant ne fut enlevé, et bientôt, au-dessus de ce premier service, de nouvelles soucoupes en porcelaine s’élevèrent en pyramides, et nous offrirent toutes les merveilles de la gastronomie chinoise. Tous ces alimens sont fort gras ; on les trempe dans des coupes de mauvais vinaigre, qui restent toujours sur la table. Après ces premiers services,