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dans le langage théâtral de la Chine, cela voulait dire qu’ils étaient à cheval. Ces allégories me furent expliquées par les Russes : ils en connaissent parfaitement le sens, car ils voient répéter à chaque solennité ces travestissemens et ces pièces qui font nécessairement partie des fêtes chinoises. La troupe des comédiens de Maimatschin est permanente : ce sont des gens qui n’ont pas d’autre profession. Au moins, dans le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, les artisans qui se font comédiens s’abstiennent d’ail, tandis que les acteurs de ce pays restent toujours acteurs et mangent beaucoup d’ail. Je l’ai appris à mes dépens, m’étant avancé de trop près vers l’une de ces pseudo-dames, pour lui faire ma cour par gestes. Je m’improvisai de la sorte un rôle dans la pièce, et je croirais assez qu’on permet cette licence aux spectateurs ; car la belle voulut aussitôt m’embrasser, et depuis ce moment le pauvre Ziani, avec ses lunettes sur le nez, devint le plastron des comédiens. J’étais à moitié déguisé, car les lunettes jouent un grand rôle dans la mascarade, et les cavaliers touchaient presque les miennes du bout de leurs bâtons chaque fois qu’ils passaient près de moi. Je ne pus découvrir le sujet de la pantomime dont je vis la représentation ; peut-être n’en renfermait-elle aucun. Voici, du reste, ce qui se répétait continuellement. Toute la troupe marchait en rond sur une seule file, d’un pas lent et grave, formant avec ses instrumens de musique un tutti staccato, et prononçant en chœur, après chaque note et chaque pas, une syllabe de récitatif. Après plusieurs rondes de la sorte, on fit succéder à l’adagio une musique d’une harmonie sauvage et éclatante, un allegro très rapide, que toute la troupe accompagna en sautillant en rond sur la pointe du pied, moins quelques acteurs, qui se mirent au milieu du cercle, pour y exécuter des farces de jongleurs et des tours de force. Enfin les comédiens rompirent la danse, se placèrent en tête de notre petite troupe et nous conduisirent jusqu’à la demeure du sargutschei, au bruit continuel de leurs instrumens de bois ; alors ils s’arrêtèrent sous le large portique qui sert d’entrée au palais du sargutschei, pour y jouer une musique de table pendant le repas. Nous nous glissâmes à travers une foule de Chi-