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VOYAGE EN SIBÉRIE.

ront connaître entièrement la Chine. L’ouvrage de Timkowski est traduit dans toutes les langues d’Europe. J’ignore si l’on a fait le même honneur au père Hyacinthe[1], et cependant son travail est le plus important. Timkowski n’a fait que le piller.

La connaissance de M. Golechowski, directeur de la douane à Troizko-Sawsko, nous procura la faveur insigne d’être au nombre des convives du sargutschei. Vers onze heures, les principaux employés de la douane russe, suivis de deux interprètes, arrivèrent à Kiachta. Vous pensez bien que les trois Ziani étaient aussi de la bande et en grande tenue. On fit d’abord quelques visites de rigueur chez les principaux marchands russes ; puis on gagna à pied Maimatschin et la demeure du sargutschei. En approchant de la maison, nous rencontrâmes dans la rue une troupe de personnages déguisés, qui faisaient un tapage effroyable avec des instrumens de musique ; c’étaient les acteurs de Maimatschin. Il y avait dans ce formidable orchestre un tambour de bois, en forme de tonneau, des cymbales, des morceaux de bois servant de castagnettes, et plusieurs de ces disques de métal, qu’on frappe avec une baguette, et que nous connaissons sous le nom de tamtam. Beaucoup de ces comédiens s’étaient déguisés en femmes (on sait qu’il n’y a pas de femmes à Maimatschin), et vraiment ils soutenaient assez bien leurs personnages : ils étaient coiffés avec des perruques et de longues tresses de soie noire, et pour plus de ressemblance des boucles de cheveux étaient ramenées sur leur front, comme nos crochets aplatis à l’ancienne mode. Ces acteurs ne portaient pas de masques ; mais ils avaient le visage grotesquement bariolé de blanc, de noir et de rouge. Plusieurs s’étaient fait avec de la peinture des moustaches et des lunettes, et l’un d’eux avait sur la face un soleil dont sa bouche formait le centre. Il portait en outre une plume sur la tête, ce qui, dans les comédies chinoises, désigne toujours un revenant, un esprit. Un autre avait un casque d’or : c’était assez pour en faire un guerrier ; d’autres se frappaient continuellement sur les hanches avec un bâton, et

  1. Il a été traduit en français par M. Klaproth. — D. H.