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VOYAGE EN SIBÉRIE.

tiales de l’empereur Nicolas Ier, sous le règne duquel on l’a construite. Cette porte s’appelle le trou d’Ursern. On passe outre, et comme par enchantement on se croit à la foire de Berlin le jour de Noël… On est à Maimatschin, sur un chemin de terre battue, et balayée avec un grand soin, entre des murs de bois peu élevés, dont les fenêtres sont en papier de Chine. C’est à peine si l’on peut entrevoir les murs des maisons, car ils sont bizarrement masqués par une rangée de lanternes de papiers peints, suspendues à des cordes, et par des bannières de même sorte ; le tout chargé d’inscriptions chinoises. Des cordes, horizontalement placées d’un mur à l’autre, portent des lanternes bariolées et des drapeaux. C’est un assemblage de toutes couleurs, dont les contrastes ressortent vivement sur la teinte uniformément gris-jaune du sol et des murailles. Au carrefour des rues qui se traversent perpendiculairement, on voit de grands réchauds en fonte, surmontés de bouilloires à thé, et tout autour des bancs de bois où se tiennent des buveurs de thé, fumant leur petite pipe, qui, en mongol, s’appelle gansa. Nous eûmes l’entretien le plus divertissant avec ces fumeurs de carrefours. Ils parlaient une langue barbare, qui s’est faite dans les relations commerciales des marchands de Kiachta et de Maimatschin. Comme ces derniers, depuis vingt ans, viennent chaque année à la frontière, les habitans de Kiachta, toujours en rapport avec eux, ont fini par adopter toutes les licences que se permettaient les Chinois à l’égard de la langue russe, et il en est résulté un langage à part, un argot complètement inintelligible pour un Russe…

Il n’y a rien de plus doux, de plus affable que le visage et le ton de ces Chinois. Je fumai quelques pipes avec eux, ce dont ils furent très flattés, car ces lazaronis sont de la dernière classe du peuple, et il est bien rare qu’on leur tienne compagnie. Ils nous demandèrent si nous étions des Ziani : c’est le nom qu’ils donnent aux Européens. Nous répondîmes que nous étions des Chundi, ce qui veut dire en Mongol : Têtes rousses, et sert en Chine à désigner les Anglais. Justement deux personnes de notre compagnie étaient d’un blond très hasardé, et l’on nous