Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/540

Cette page a été validée par deux contributeurs.
525
REVUE. — CHRONIQUE.

monde doré en robes de gaze et en épées de soie ! C’eût été beau et grand de voir les doctrinaires se tirer de ce danger ! C’eût été beau et intéressant de savoir comment l’aristocratie bourgeoise aurait supporté ces glaives nus, et si elle aurait eu le cœur de l’autre aristocratie en 93 et des jeunes duchesses de 93. Notez bien que nous ne sommes pas conspirateurs. Nous jugeons tout ceci sous le côté artiste et bien qu’il y ait eu ce soir-là conspiration, nous ne croyons pas aux conspirations.

Vous savez comment cela s’est passé : chez un restaurateur, rue des Prouvaires, à minuit. Les conjurés mangeaient, ils préparaient leurs armes et cachaient leur or. Tout-à-coup la police frappe à la porte un de ces coups qui retentissent si fort dans l’âme quand on lit l’histoire de Venise. La police entre et se précipite. Elle saisit les armes, les conjurés, l’or et l’argent ; elle saisit jusqu’à un paquet de charpie préparée en cas d’accident. Il faut avouer que les conjurations modernes sont prévoyantes. La conjuration du restaurateur se munit de charpie, celle des tours de Notre-Dame fait une provision de pain sec ! Sans doute l’une et l’autre voulaient par là compenser ce qui leur manquait du côté de la discrétion, du nombre et des moyens. Pauvres gens ! heureusement qu’ils n’ont pas réussi. S’ils avaient pris Paris la nuit de ce bal, qu’en auraient-ils fait le lendemain matin ?

Conspirer aujourd’hui, c’est être fou ; ce fut une folie de conspirer dans tous les temps. Voyez dans l’histoire romaine à quoi aboutissent les conspirations les mieux conduites ! Il n’y a pas trois conspirations dans le monde qui aient réussi. Notez bien que je n’appelle pas conspirer se révolter contre l’étranger qui nous domine, contre le tyran qui s’est mis lui-même hors la loi. La mort du ministre Vasconcellos en Portugal n’est pas une conspiration, non plus que la mort des Français en Sicile. Ce qui a fait la beauté et la force des trois journées de juillet, c’est que personne n’avait conspiré. De nos jours avec la tribune, avec la liberté de la presse, une conspiration est chose presque aussi absurde qu’un poème épique. À quoi bon une conspiration, si vous vous battez pour un principe ? (et quelle