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dans les deux cas ; ces deux hommes se suffisent l’un à l’autre. Cherchez dans les plis de la révolution un germe de guerre, une cause de querelle, un signal de bataille que Napoléon n’ait pas ramassé, un sujet de conflit européen qu’il n’ait pas relevé, une conséquence militaire qu’il n’ait pas développée, vous n’en trouverez point ; et c’est là sa grandeur que d’avoir absorbé en lui tous ces faits, toute cette colère, toutes ces chances, et de vous avoir rendu aujourd’hui impossible, pour la même cause, la grande guerre, la guerre universelle. La monarchie et la démocratie peuvent donc à cette heure batailler tant qu’elles voudront chez elles, personne ne s’armera plus au dehors pour les séparer. Chacun est livré à sa force naturelle et intime. Plus d’alliances artificielles, plus d’espérances trompeuses. Ce sont deux principes qui s’arment en champ clos pour le jugement de Dieu. Les voilà tous deux nus et dans une enceinte isolée qu’ils se sont faite eux-mêmes ; tous deus seuls, irrévocablement seuls, sans moyen de détourner ailleurs ni de retarder la lutte. Le pouvoir populaire n’a plus d’alliés au dehors ; mais le pouvoir royal non plus, ce qui reste de lui ne suffisant plus pour occuper le monde à sa défense ; et quand ce serait lui qui viendrait à périr, l’Europe, cette fois, ne s’en troublerait plus que pour ramasser sa dépouille, si on la laissait faire.

Je me trompe pourtant : entre ces deux grands pouvoirs, quelque chose s’est interposé ; nous, hommes d’hier, classe sans nom, pouvoir sans nom, aristocratie sans passé, qui avons ramassé sur les degrés de la révolution ce que nous avons pu trouver des restes de l’aristocratie défaite ; nous, un tronc sans chef, qui s’en va en portant sa tête dans sa main comme le saint Denis du peuple. Et, ce qu’il y a d’effroyable, la monarchie suit à travers champs ce corps décapité, et ne voit pas qu’à la première pierre, ce je ne sais quoi qui est nous, c’est-à-dire, qui n’est ni plèbe ni noblesse, va tomber dans la rue et laisser échapper sur le pavé l’ancien chef découronné de la vieille oligarchie que nous tenons et raffublons dans nos mains. Nous faisons de notre mieux pour supporter le poids de notre époque ; mais nous n’avons pour cela ni la force du peuple d’aujourd’hui, ni le fer