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DE L’ALLEMAGNE.

on n’entend que douleur, que regrets, que mutuelles récriminations, que sourdes plaintes dans l’état, jusqu’à ce que l’abîme se soit refermé à tout jamais sur elle.

Ne nous y méprenons pas ; notre siècle, surpris à son avénement par la révolution et par l’empire, est encore courbé sous ce double effort. Pour peu qu’il se remue, sa pensée s’agenouille sous le fardeau de cette ère. Soit la convention, soit l’empire, toute idée plie sous le faix d’une terreur ou d’une admiration ; et au plus fort de ses projets, quels qu’ils soient, le genre humain d’aujourd’hui penche encore la tête sous son diadème de sang et sous sa couronne de fer. On a vu toute une époque vivre au jour le jour dans l’attente d’un danger imminent, et ce péril n’être au fond que le retentissement d’un péril passé ; car il est visible que le bruit de guerre universelle qui éclate depuis un an n’est que l’écho des marches de la convention et de l’empire dans le génie de notre époque. Que l’on ne fasse honneur à personne de l’avoir évitée. Elle était impossible : la guerre de principe n’était pas plus faisable pour l’Europe le lendemain de juillet qu’elle ne l’est aujourd’hui. Pourquoi cela ? Parce qu’elle est achevée, parce que les faits accomplis ne s’accomplissent pas deux fois, parce que le germe de guerre que 89 avait jeté dans la société moderne a été épuisé par les batailles de la convention, parce que l’empire a assumé sur lui et dévoré toutes les grandes conséquences militaires du dogme de la révolution française. Quand la réformation parut en son temps, elle aussi apporta dans le pli de sa robe de moine la guerre de trente ans ; il fallait cet espace pour épuiser sa colère et pour vider sa querelle. Mais on ne revit pas, après cela, deux fois la guerre de trente ans ; on n’alla pas déterrer les os de Wallenstein dans le cimetière d’Egra pour leur dire : « Recommencez ce que vous avez achevé. » On ne revit pas deux fois Gustave ni Tilly, et personne, ni catholique, ni protestant, ne se soucia de remettre, après un demi-siècle, ses morts en bataille. Le principe nouveau avait survécu à l’attaque du monde, et le monde s’y soumit. Aujourd’hui il en est de même. À la parole de Luther, il a fallu le bras de Gustave-Adolphe ; à Mirabeau, Napoléon ; et