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dangers que nous voyons ne sont pas ses dangers, et ce n’est pas lui que menacent de tuer les germes de mort qu’on trouve à sa surface ; mais, s’il est une chose triste à voir et qui vaut une larme, c’est une monarchie aimée de tous, et qui, à peine née, se dévoue à appeler sur elle tous les périls de son époque. À chaque degré qu’elle descend devant l’unité du continent, le pays monte et s’élève à sa place. Pour chacun de ses droits qu’elle abandonne au monde, un autre de ses droits lui est enlevé chez elle ; ce qu’elle donne aujourd’hui au dehors au prix de son éclat, demain il faut qu’elle le rachète au dedans au prix de sa substance ; placée entre deux forces opposées qu’elle nourrit d’elle-même, la réaction de l’Europe et le pouvoir populaire, et qui, chacune de son côté, lui arrache un lambeau ; quand elle aura tout cédé à l’une, elle aura aussi tout cédé à l’autre, et ne se survivra que dans ces deux forces rivales qu’elle aura l’une et l’autre grossies et refaites d’elle-même. L’équilibre s’établit dans l’Europe, dites-vous : Je le crois bien ; la monarchie jette, par égale partie, ses dépouilles à la tête du siècle. Et cette logique si simple, il n’y a qu’elle qui ne la voit pas. Ce qu’elle nomme la paix, et ce qui l’est pour le monde, c’est la guerre pour elle, et elle seule n’en sait rien ; ce qu’elle appelle harmonie de l’Europe, c’est son déchirement à elle. Et tout le monde en profite, sans que personne l’avoue. On dirait qu’elle pacifie l’abîme pour y entrer sans bruit et sans émoi pour personne. Et l’on voudrait que le pays souffrît ce spectacle sans trouble. Oh ! non pas, certes. Quand un homme seul descend du haut d’une institution pour marcher à sa ruine, même s’il s’en va à Sainte-Hélène, il laisse à son pays une plaie guérissable ; mais si c’est l’institution, quelle qu’elle soit, vieille ou jeune, à chaque pas qu’elle fait pour décroître, elle ouvre un précipice à chaque foyer domestique ; un peuple entier est saisi d’amertume et de tristesse étrange, comme un seul homme. Il porte d’avance le deuil d’une chose qui n’est pas, qu’il ne sait pas, qu’il ne voit pas, qui peut encore ne pas être. À mesure que cette institution descend vers son rivage, il se fait au fond de lui un vide inexplicable ; et quand elle achève de disparaître,