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sous le péristyle. Son indifférence me surprit ; mais mon étonnement augmenta bien quand je le trouvai philosophiquement assis à table. Il avait mangé tout le dîner, au grand plaisir de sa fille qui souriait de voir son père désobéissant.

La singulière insouciance de ce mari me fut expliquée par la légère altercation qui s’éleva soudain entre le chanoine et lui. Le comte était soumis à une diète sévère que les médecins lui avaient imposée pour le guérir d’une maladie grave dont j’ai oublié le nom ; et, poussé par cette gloutonnerie féroce, assez familière aux convalescens, l’appétit de la bête l’avait emporté sur toutes les sensibilités de l’âme. En un moment, j’avais vu la nature dans toute sa vérité, sous deux aspects bien différens, qui mettaient le comique au sein même de la plus horrible douleur.

La soirée fut triste. J’étais fatigué. Le chanoine employait toute son intelligence à deviner la cause des pleurs de sa nièce. Le mari digérait silencieusement, après s’être contenté d’une explication que la comtesse lui fit donner de son malaise par sa femme de chambre, et qui fut, je crois, empruntée aux malheurs naturels à la femme. Alors, nous nous couchâmes de bonne heure.

En passant devant la chambre de la comtesse pour aller au gîte où me conduisait un valet, je demandai de ses nouvelles assez timidement, elle me fit entrer, voulut me parler, mais la voix lui manqua ; elle inclina la tête, et je me retirai.

Malgré les émotions cruelles que je venais de partager avec la bonne foi d’un jeune homme, je dormis accablé par fatigue de ma marche forcée. À une heure avancée de la nuit, je fus réveillé par les aigres bruissemens que produisirent les anneaux de mes rideaux violemment tirés sur leurs tringles de fer. Je vis la comtesse, assise sur le pied de mon lit et recevant toute la lumière d’une lampe posée sur ma table.

— Est-ce bien vrai, monsieur ?… me dit-elle. Je ne sais comment je puis vivre après la secousse que j’ai recue, mais en ce moment j’éprouve du calme… je veux tout apprendre !…

— Quel calme, me dis-je en apercevant quelques mèches de cheveux blancs qui tranchaient sur la couleur brune de sa che-