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UN TOUR DE MATELOT.

peut le croire, spectateur tranquille de ce sauvetage. Il prit toutes les mesures sages qu’on devait attendre de son expérience ; il donna l’exemple du dévoûment. C’est ce qu’il avait fait déjà la nuit du 5 au 6 mars, quand, dans un grand coup de vent, les vaisseaux espagnols et portugais s’allaient échouer. La mer était grosse, et battait le rivage avec fureur ; les embarcations étaient difficiles à manier ; on pouvait attendre que la marée changée n’ajoutât pas un nouvel obstacle à ceux que le sud-ouest multipliait. Un général ordonna qu’on envoyât un canot à un des bâtimens pour y chercher du monde ; Grivel fit observer qu’y arriver était chose impossible, que le canot chavirerait probablement, et que l’on perdrait des matelots sans profit pour les fugitifs.

— Mauvaises raisons que cela, monsieur ! dit l’officier général ; mais voilà comme vous êtes, messieurs les marins, vous trouvez des difficultés partout !

Quel homme dans l’armée avait le droit d’accuser de timidité le chef de l’entreprise du 22 février ? Grivel ne lui demanda pas son nom ; mais s’avançant vers son cheval, il lui serra la cuisse avec une main dont la colère avait centuplé la force, et lui dit :

— Vous allez voir, général, si nous avons peur. Mais souvenez-vous que vous l’avez voulu.

Il fit embarquer dix hommes dans un grand canot, poussa au large, lutta contre les lames soulevées, et quand il fut près du ponton, une vague prit l’embarcation par-devant, la mit debout, puis la renversa en arrière. Les dix matelots périrent en voulant regagner la terre ; le capitaine se sauva parce qu’il resta loin de la plage, se soutenant et attendant une circonstance favorable pour rejoindre le bord. Je ne sais pas ce que le général fit d’excuses au capitaine.

L’affaire du ponton des officiers eut lieu le 16 mai, c’est-à-dire presque trois mois après que Grivel avait enlevé le mulet. Le 26 mai, un autre ponton coupa ses cables, et vint à la côte. L’Argonaute fut moins heureux que la Vieille-Castille ; il fut horriblement mitraillé par les Anglais. C’est une terrible scène que celle dont ce vieux vaisseau fut le théâtre. Le sauvetage pré-