Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/502

Cette page a été validée par deux contributeurs.
487
UN TOUR DE MATELOT.

méritaient, et s’adressant à Grivel, loua largement son entreprise et sa belle conduite.

— Bah ! répondit avec modestie le capitaine, c’est un tour de matelot, monsieur le maréchal, et voilà tout.

Et il disait un tour de matelot, comme on dirait : un tour de page ou d’écolier. Quelle espièglerie, bon dieu !

Le capitaine Grivel fit un rapport officiel de l’événement du jour au duc de Dalmatie. Ce rapport ne dépassait pas six lignes. Au ministre de la marine Décrès, l’officier des marins de la garde devait un plus long récit ; il fut concis pourtant, et voici sa lettre que j’ai retrouvée par hasard.


Puerto Santa-Maria, le 22 février 1810.


Monseigneur, j’ai l’honneur de mettre sous les yeux de V. E. les détails d’un événement qui, bien qu’ordinaire, a fait ici quelque honneur à la marine dans l’esprit de l’armée.

J’étais prisonnier depuis l’affaire de Baylen, sans jamais avoir pu trouver l’occasion de briser mes fers. Enfin, le 22 février, j’ai réussi. Quelques marins, quelques officiers de terre résolus, ont voulu courir ma fortune. Je me suis élancé avec eux dans un bateau, et nous l’avons enlevé à l’instant. Nous avons cherché à hisser la voile, et à déborder sur-le-champ ; mais le matelot que j’avais chargé de couper la bosse, ayant reçu deux coups de fusil[1] avant d’avoir pu en venir à bout, notre position a été pendant quelques minutes extrêmement critique. Une circonstance particulière en augmentait le danger, c’est l’habitude

  1. On remarquera peut-être que ce passage du rapport officiel de M. Grivel diffère de ma narration qui place le brave Francisque au point de la voile, et non pas à la bosse ; M. Grivel se trompa le 22 février 1810, en écrivant cette phrase. La mémoire des détails lui échappait dans ce moment, et on le concevra facilement, si on cherche à analyser la situation morale où il devait être après le succès de sa téméraire entreprise. Francisque était où mon récit l’a montré mourant avec tant de courage. Une note de M. l’amiral Grivel, postérieure de plusieurs années à son rapport, a rétabli sur ce point la vérité historique.