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notre promesse, nous épierons l’occasion, et je pense qu’elle se présentera bientôt.

— Comment cela ? interrompit Belleguy, un des officiers de marine, sur qui le capitaine comptait le plus.

— Vous allez le savoir, reprit Grivel avec un calme qui annonçait la certitude.

— Voyez son assurance, dit en plaisantant et à demi-voix Euryeul à un officier de cuirassiers ! Ne dirait-on pas qu’il a la seconde vue, et qu’il lit couramment dans le livre des destinées ?

Le capitaine Grivel entendit ces paroles, et sourit en regardant celui qui les avait prononcées, comme pour lui répondre : Vous avez raison ; je lis dans l’avenir, et notre page y est belle. Puis il continua tout haut :

— Le bateau qui nous apporte de l’eau est facile à enlever.

— Sous le feu de la garde du ponton !

— Oui, sous le feu de la garde, sous le feu des canonnières et des vaisseaux anglais, sous le feu du ciel, sous le feu du diable, sous tous les feux du monde, quand on est bien résolu.

— Et qu’il y a bon vent, ajouta Belleguy.

— Ne vous fâchez pas, capitaine, dit celui qui avait interrompu.

— Je ne me fâche pas ; mais, pour Dieu, nous n’avons point de temps à perdre : on nous épie. Le sergent espagnol rôde, et si nous sommes trop long-temps ensemble, nous éveillerons ses soupçons. Qu’un de vous se détache et nous quitte, sans faire semblant de rien.

Legras s’éloigna en fredonnant le refrain de la romance impériale :

Suivez l’honneur, mais ne m’oubliez pas.

Grivel reprit :

— La première fois que le mulet[1] aux barriques d’eau vien-

  1. Petit navire espagnol et portugais à un ou plusieurs mâts. Celui dont il s’agit ici, n’avait qu’un seul mât et une voile. Il n’était pas ponté.