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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

démocratie marche chez nous du même pas que la civilisation, et la révolution de juillet est venue animer, hâter son progrès. De la société où elle règne sans adversaire, déjà elle a fait irruption dans le gouvernement en élevant cette Chambre à une autorité qui ne connaît plus guère de bornes… Quand mon noble ami, M. de Serres, s’écriait, il y a dix ans, la démocratie coule à pleins bords, il ne s’agissait encore que de la société ; nous pouvions lui répondre, et nous lui répondions : Rendons grâce à la Providence de ce qu’elle appelle aux bienfaits de la civilisation un plus grand nombre de ses créatures. Aujourd’hui c’est du gouvernement qu’il s’agit. La démocratie doit-elle le constituer seule, ou y entrer si puissante qu’elle soit en état de détruire ou d’asservir les autres pouvoirs ? En d’autres termes, l’égalité politique est-elle la juste et nécessaire conséquence de l’égalité civile ? Je ne raisonnerai point : j’en appelle à notre expérience. Deux fois la démocratie a siégé en souveraine dans notre gouvernement ; c’est l’égalité politique qui a été savamment organisée dans la constitution de 1791 et dans celle de l’an iii. Certes, ni les lumières ne manquaient à leurs auteurs, ni les bonnes et patriotiques intentions, je le reconnais. Quels fruits ont-elles portés ? Au dedans l’anarchie, la tyrannie, la misère, la banqueroute, enfin le despotisme. Au dehors une guerre qui a duré plus de vingt ans, qui s’est terminée par deux invasions, et de laquelle il ne reste que la gloire de nos armes. C’est que la démocratie dans le gouvernement est incapable de prudence, c’est qu’elle est de sa nature violente, guerrière, banqueroutière[1]. En vous transcrivant ce passage, monsieur, je regrette que M. Royer-Collard l’ait écrit ; c’est trop d’amertume, d’injustice, de colère sourde, et de méprise tant sur la nature des choses que sur notre histoire contemporaine : M. Royer-Collard annonce qu’il ne raisonnera pas ; j’en suis fâché, car c’était plus que jamais le cas de raisonner : en raisonnant, ce philosophe aurait vu que la cause de la démocratie

  1. Discours prononcé, le 4 octobre 1831, sur l’hérédité de la pairie. »