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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

pour juge non pas une coterie restreinte et fermée, mais le public qui, dans son impartialité, est accessible à tous, refusant le refuge et les licences de l’anonyme, pour se placer elle-même sous le frein de sa responsabilité propre. La liberté de la presse, cette faculté démocratique qu’a chacun de parler à tous, est une arme qui veut être maniée au grand jour ; elle n’est ni un jouet futile, ni une escopette destinée à frapper dans l’ombre.

Dans ma première lettre, monsieur, j’ai été avec vous au plus pressé ; je vous ai mandé que la France n’était ni prête à se dissoudre, ni atteinte d’un scepticisme mortel, ni folle, ni idiote ; vous avez pu voir que l’incertitude dans laquelle elle vous paraît flotter devait être imputée au peu d’appui et de consistance qu’elle a trouvés dans les théories qu’on lui a présentées, pendant ces quinze dernières années, comme l’expression de la vérité et du siècle. Mais il nous faut examiner avec plus de détails la philosophie de la restauration, sans quoi nous ne saurions apprécier avec justesse ce qui s’est manifesté depuis.

La philosophie de la restauration a trouvé son expression la plus complète et la plus juste dans un homme qui jouit, à bon titre, de l’estime de tous, et dont je vous parlerai avec d’autant plus de plaisir que j’aurai beaucoup à louer sa conscience et son talent ; M. Royer-Collard. Si vous voulez bien comprendre, monsieur, la valeur qu’a eue pour nous ce philosophe distingué, il faut que vous dépouilliez un peu vos idées allemandes. Ainsi, vous me demandez la liste des ouvrages de M. Royer-Collard ; vous vous le représentez comme vos Fichte, vos Schelling, vos Hegel, ayant beaucoup écrit et devant sa vaste renommée à une succession d’ouvrages ; il n’en est pas ainsi ; M. Royer-Collard a peu écrit, et ne parle pas beaucoup : nous n’avons de lui, jusqu’à présent, qu’un discours prononcé en 1813 qui résume son enseignement, et quelques fragmens que M. Jouffroy s’est donné la peine de recueillir avec l’industrie la plus patiente et la plus modeste. Je redoublerai votre étonnement en vous apprenant que l’enseignement de M. Royer-Collard n’a duré que deux ans, n’a roulé que sur une question, sur la perception des