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alliances bafouées, se fomente à cette heure auprès d’elle une unité puissante, une nationalité ambitieuse et blessée. Toutes les questions ont changé de nature, la sainte alliance n’est plus sur les trônes, elle descend dans les peuples. Laissez-la quelque temps encore rallier le Nord, divisé depuis la réforme ; laissez faire ces dissensions superficielles et ces discordes que nous avons nourries, sous lesquelles se cache le travail intérieur de la civilisation germanique. Recueillez-vous davantage, s’il se peut, dans vos foyers. On trouve encore aux murailles de nos frontières des trous par lesquels on peut passer la tête pour voir ce qui se fait au-dehors. Fermez-les, murez-les ; rentrez chez vous, et bientôt vous verrez de cette lutte apparente de liberté et de despotisme, de ce chaos de peuples et de rois, où l’on ne débrouille rien à cette heure, vous verrez surgir à votre porte, non pas demain, il est vrai, une communauté d’intérêts, d’ambition, de génie, de ressentiments, d’avenir, qui se soulèveront, non plus des trônes cette fois, mais de toute la hauteur d’une race d’hommes, en face de la France obsédée et ruinée.

Et alors il ne servira de rien de dire que l’initiative de la civilisation a toujours été la propriété inaliénable de la France ; car il est une chose aujourd’hui contestable et qui deviendrait désormais évidente, c’est que l’initiative dans la civilisation, c’est-à-dire la force, l’équilibre, la puissance, la richesse, à mesure que le monde s’éloigne de plus en plus des traditions de l’antiquité, aspire aussi, à chaque révolution du genre humain, à se dégager du sein des vieilles races. Au sortir de l’antiquité, la civilisation surgissait dans le monde byzantin, sur les limites de l’orient ; elle circulait avec le christianisme autour du trône des empereurs de Byzance, dans le sang de ces populations grecques qui, depuis mille ans, n’avaient rien changé que leur Dieu. Dans tout le moyen âge, le principe social avec la papauté, avec les libertés démocratiques, avec les richesses du Nouveau-Monde, émigre en Italie et en Espagne, chez ces populations toutes romaines encore, il est vrai, par le fond, mais qui au moins ont revêtu déjà la casaque des temps modernes ; plus tard, à la renaissance, à mesure que l’idée du monde civil