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qui a la propriété d’enivrer. Je mis une once de ce bois, coupé très menu, infuser dans une demi-pinte d’eau bouillante. Quatre heures après, cette eau avait le goût de l’esprit-de-vin très fort. Je donnai environ deux onces de cette infusion à mon cuisinier, sur qui j’avais déjà fait plusieurs essais, et qui ne s’y refusait pas. Un quart d’heure après, il chanta comme un homme qui commence à ressentir les effets du vin ou d’une liqueur spiritueuse, bientôt il fut obligé de se coucher ; il s’endormit, et son ivresse dura jusqu’au lendemain matin. Je voulus aussi faire moi-même l’épreuve. Je bus une cuillerée de l’infusion ; quelques minutes après, je ressentis un grand étourdissement, tout paraissait danser autour de moi ; j’éprouvais un malaise général, et je restai dans cet état pendant environ deux heures. Je voyais tout ce qui m’entourait avec indifférence, et je ne me serais pas défendu, si l’on était venu m’attaquer. Quand je repris mes sens, je conservai pendant plusieurs heures une pesanteur qui engourdissait mes facultés intellectuelles.

Comme je ne perdais pas de vue la continuation de mon voyage, je demandai des porteurs au soba, afin de renvoyer ceux que j’avais pris au Bihé, le souverain de ce pays ne me les ayant donnés que pour aller jusque chez Cunhinga. Ce dernier m’envoya un bon nombre d’hommes. Je fis un choix ; mais au moment de renvoyer ceux du Bihé, vingt-sept de ceux-ci me proposèrent de rester avec moi jusqu’au temps où je reviendrais dans leur pays. Cette marque d’amitié était d’un heureux présage pour le succès de mon entreprise. J’étais sûr d’avoir de zélés défenseurs en cas d’attaque, puisque le sort de ces nègres dépendait du mien. Ceux qui m’avaient suivi depuis le Haco étaient certainement satisfaits, puisqu’ils ne parlaient pas de retourner chez eux. Je renvoyai les autres nègres du Bihé sous la sauvegarde de deux nobles de Cunhinga, qui les escortèrent, et je les chargeai d’un présent pour leur souverain.

Le 1er octobre 1828, je sortis de la banza de Cunhinga. Les femmes de ce soba l’accompagnaient quand il vint me dire adieu : c’était pour avoir quelques cadeaux. Lorsque la caravane fut en marche, le soba m’exprima combien il regrettait de voir