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morceaux de leur composition. Le peuple se mit à danser. Lorsque la danse finit, le soba se leva et partit fort content de moi.

Mes barils d’eau-de-vie me procuraient la visite de ce chef le matin et le soir. Il ne venait cependant jamais sans me faire demander préalablement si je pouvais le recevoir. Il choisissait de préférence l’heure de mes repas, s’asseyait à ma table, ne mangeait rien, mais buvait beaucoup. Il ne cessait de m’interroger en conversant avec moi ; il désirait surtout connaître les lois européennes ; il ne pouvait concevoir que mon pays fût assez peuplé pour qu’il fût nécessaire de cultiver toutes les terres, il s’étonnait davantage de ce que le nombre des propriétaires était moins considérable que celui des gens qui travaillaient. Il regardait cet ordre de choses comme injuste et blâmable. Il refusait de croire que les hommes se livrassent à des travaux pénibles, tandis que les femmes en étaient exemptes. Il ne pouvait non plus s’imaginer qu’un homme ne prît qu’une femme. « Pourquoi, me demandait-il, condamne-t-on une grande partie de la population à être malheureuse ? » Il resta fort surpris en apprenant que le nombre des individus dans les sexes était à-peu-près égal. Lorsque je lui eus expliqué la grandeur des états européens, il m’accabla de questions. « Pourquoi, me dit-il, vos nations sont-elles si puissantes ? Pourquoi vos rois sont-ils entourés de tant de pompe ? Pourquoi y a-t-il plus d’ordre chez vous que dans nos pays ? Pourquoi avez-vous de nombreuses manufactures ? Pourquoi, possédant tant de biens, voulez-vous encore posséder des territoires dans nos contrées ? etc., etc. » Plus je lui apprenais de choses nouvelles, plus sa curiosité redoublait. Il ne paraissait jamais satisfait. Ce vif désir de connaître nos mœurs me prouva que ce n’était pas un homme ordinaire, et j’eus lieu de me convaincre que si l’envie de boire de l’eau-de-vie entrait pour beaucoup dans les motifs qui l’amenaient près de moi, il ne souhaitait pas moins s’instruire, car il ne négligeait aucune occasion de venir causer avec moi.

La banza du Bihé est un des grands marchés aux esclaves