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REVUE. — CHRONIQUE.

fort à la lecture, il le faut confesser, mais allez l’entendre, et vous verrez comme l’habileté consommée d’une actrice fait quelque chose de rien.

Au troisième acte, arrive enfin une scène dramatique. — Il était temps. La Dubarry est en pied ; et avec un admirable sang-froid, mène de front l’amour généreux du roi, et l’amour intéressé du duc d’Aiguillon. Un billet qu’elle écrit à celui-ci tombe en mains ennemies, comme mille billets de comédie, et entre les mille celui des fausses confidences ; d’Aiguillon, venu mal-à-propos, est caché comme dans Tartufe sous cette éternelle table que vous savez, placée à droite, près du fauteuil de velours. La Dubarry lui passe plume et encre, et il écrit, là-dessous, la lettre dont le billet est censé la réponse. — Le roi est convaincu, trompé et content.

Le faible Louis xv qui l’avait élevée à lui, comblée de faveurs, entourée d’adorations est trahi par elle, et livre le portefeuille et les destinées qu’il contient, à celui qui partage avec lui sa populaire maîtresse. — Voilà la morale ; — en fallait-il une autre ?

Et pourtant, faut-il l’avouer ? avant le coup magique auquel nous devons tant, on voyait encore la présentation de la Dubarry, la mort de Louis xv, annoncée par une petite bougie éteinte ; puis, on sautait à la vieillesse de la favorite, Zamore était devenu une sorte de Marat (le pauvre garçon, je l’aime bien mieux à présent !), il faisait périr sa maîtresse pour se venger de ce qu’on l’avait appelé nègre, parce qu’il avait la peau noire. Il est vrai que sa maîtresse avait des angoisses de terreur telles qu’on n’en a peut-être jamais vu de plus naturelles sur la scène ; elle courait d’un sans-culotte à l’autre, criant, plaidant, pleurant ou riant avec un ton de bon compagnon pour les familiariser à elle ; elle leur disait la cachette de ses bijoux, leur prenait les mains, elle aurait bu de l’eau-de-vie et trinqué avec eux pour se sauver. C’était beau ! c’était très beau de la part de l’actrice, mais courtisans, nègre, marquise, bourreau, juges, tout était trop mauvais pour ne pas être emporté par le souffle violent et salutaire qui a laissé le gracieux vaudeville tel qu’il est aujourd’hui, riant, jouant et parfumant de la bonne odeur de sa poudre les planches étonnées de l’Odéon, qui n’est plus désert.

Après tout, ce qui restera de cette pièce soit biographique, soit anecdotique (l’un vaut l’autre à-peu-près), c’est la création originale du rôle de la Dubarry, comme l’a conçu el exécuté madame Dorval. La meilleure actrice dans la meilleure comédie n’a jamais fait mieux. Il n’y a qu’un esprit observateur et juste qui puisse sortir aussi complètement de la routine théâtrale et entrer aussi hardiment dans la vraie, franche et bonne nature. On n’avait fait que la soupçonner comédienne, on l’a vue cette fois et elle a été redemandée, applaudie avec transport par ce jeune public du vieux faubourg Saint-Germain qui, au sortir de ses études sérieuses, vient les continuer dans ses plaisirs même, en examinant de près ces acteurs du boulevard, dont les travaux ont été très grands et sont enfin appréciés. Formés dans un genre dédaigné, ils ont su être vrais, naturels et touchans dans des ouvrages faux de style, exagérés de situations, et où il n’y avait de bien qu’une sorte de libretto banal